Les représentations des femmes antillaises au cinéma

 
Représentation : 
  1. Action de rendre sensible quelque chose au moyen d'une figure, d'un symbole, d'un signe.
  2. Image, figure, symbole, signe qui représente un phénomène, une idée. 
  3. Action de représenter par le moyen de l'art ; œuvre artistique figurant quelque chose, quelqu'un.
  4. Action d'évoquer quelque chose, quelqu'un par le langage. 
  5. Action de donner un spectacle devant un public, en particulier au théâtre ; ce spectacle lui-même.
  6.  Action de représenter quelqu'un, une collectivité ; la (les) personne(s) qui en sont chargées.
  7. Activité de quelqu'un qui représente une entreprise commerciale dans un secteur déterminé. 

©Larousse

 

Avant-propos : En compagnie de la réalisatrice Sarah Demonio nous discutons des rôles des femmes racisées et plus particulièrement de la représentation des femmes antillaises au grand écran.

 

Mélissa : Bonjour Sarah, est-ce que tu peux nous faire une petite présentation de ta personne, s'il-te-plaît ?

Sarah : Une présentation de ma personne ? Je suis Sarah. J’ai trente-un ans et je suis réalisatrice. Je travaille sur des projets audiovisuels et cinéma en Guadeloupe. Je suis rentrée depuis cinq ans. J’étais en France pour mes études. Je travaille depuis cinq ans ici. Voilà pour ma personne.

M : On s'est rencontrée à la radio Chuichuichui que tu animais avec deux autres femmes. Elles sont également dans l'audiovisuel ou pas du tout ?

Sa : Pas du tout. Elles ne sont vraiment pas du tout dans ce domaine. Nous sommes amies et nous animions une émission de radio. Ça manquait. Et d'ailleurs on vous remercie, entre guillemets, de reprendre le flambeau. Ça manquait vraiment de faire une émission sur les femmes. Ou en tout cas que l’on puisse se retrouver dans ces propos. Avec mes amies, nous parlions de sujets qui ont attrait à la féminité d'une manière assez générale. Ça fait trois ans qu'on fait ça. Actuellement, nous sommes en pause mais l’aventure a commencé il y a trois ans avec mes deux amies. On s’était tout simplement dit que nos discussions, il fallait absolument qu'on en fasse quelque chose, qu'on les partage à tout le monde. Un peu comme vous.

Solène : Oui, totalement.

M : Nous parlons d'audiovisuel. Nous parlons de représentation des femmes. Nous parlons de représentation de la sexualité des femmes en général dans le cinéma. C'est toujours assez particulier puisque que les films sont majoritairement écrits et réalisés par des hommes blancs qui mettent en avant des femmes très sexualisées. Elles n’ont pas nécessaire un super rôle, un super dialogue. Et comme disait Solène hors-micro, il faut avant tout que les femmes plaisent tant aux spectateurs qu’aux réalisateurs. Je précise : pas à la spectatrice mais au spectateur, à l’homme.

So : Ce qui est intéressant c'est qu'elle plaise aux spectateurs supposés puisqu’après tout lorsque tu regardes les chiffres, ce sont plus les femmes et les enfants qui vont regarder les films.  Pourtant lorsqu’un écrivain écrit ou lorsqu’un réalisateur réalise un film dans sa tête, il faut que le film plaise à son fils, à ses amis masculin et à lui. Oui. Il faut que ça plaise.

Sa : Oui, il faut que ça lui plaise. Ils ont une vision très phallocentré de leur monde cinématographique. Ils créent leur monde idéal c'est-à-dire que lorsque tu réalises un film, tu crées ton monde. Dans leur monde idéal, évidemment, les femmes sont toutes nues, elles sont sans poils, elles sont etc.

So : Elles sont avides de sexe tout le temps.

Sa : Voilà.  Elles ont envie de sexe en permanence. Puis lorsqu’elles n’ont pas envie de sexe, elles ont les cheveux attachés. Elles sont sévères et elles sont fines. Il existe des représentations comme ça, très stéréotypées. Je pense que c’est une révélation de ce qui se passe dans leur tête. Lorsque tu es réalisateur ou du moins certains réalisateurs puisque ce n’est pas le cas pour tout le monde, il y a certains réalisateurs qui ont une pâte pré-faite. On voit comment ça se passe dans leur tête à l'écran. Et c'est pour ça qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas. C’est un monde certainement imaginaire, inventé et fantasmé cependant on voit d’où découlent les fantasme. On se dit « Bon ! ».  

Les américain·es par exemple, sont très puritain·es. Illes sont très chastes sur la représentation de la sexualité de la femme. Elle n’est pas du tout libérée. Par exemple dans les comédies, il y existe toujours cette image où on est au-dessus du lit. Puis la femme, elle, est recouverte jusqu'au coup d’un drap parce qu'il ne faut absolument pas que l’on voit un téton ou quoi que ce soit. Par contre l’homme, lui, il peut montrer son torse. Il n’y a pas de souci. C’est un vrai problème de représentation de la sexualité. À l’inverse, en France par exemple ou dans les pays scandinaves ou les pays de l'Est, les réalisateurs sont ouvert à la sexualité féminine. Mais de leur point de vue c'est-à-dire que lorsque l’on voit une femme nue, elle doit être hyper sensuelle.  Ce doit être la femme fatale. C’est rare de voir une dynamique « naturelle » d’une sexualité féminine. C’est très rare.

M : Ce qui me fait penser au film Birds of prey pour lequel j’avais lu une critique/commentaire qui montrait la différence entre un scénario écrit et réalisé par un homme et un scénario écrit et réalisé par une femme. On le voit entre Suicide Squad et Birds of Prey. La différence est même tangible. Le fait par exemple que les costumes dans Birds of Prey et notamment ceux de Margot Robbie, soient plus funs, amusants et non déchirés à des points complètements absurdes. Ça fait du sens avec son personnage dans Birds of prey plutôt qu’un costume hypersexualisé. C’est vrai que dans le cas du film français, on a souvent affaire à soit des femmes fatales, soit des femmes riches et frigides, soit finalement des femmes soumises. Avant que l’on se recentre sur nos sujets, des femmes ultramarines et afin d’être le plus interactive possible, je voudrais avoir ton opinion sur le point suivant : On entend souvent que le cinéma féminin est justement le meilleur cinéma pour représenter les femmes, en tout cas dans leur sexualité. Le porno féministe aussi, qui commence à se faire de plus en plus de place. Les films écrits et réalisés par des femmes et par exemple, je pense notamment à Amandine Gay [1] qui met en avant les femmes racisées. Est-ce que cependant tout cinéma féminin est adéquate à parler des réalités des femmes ? Le film Bandes de filles de Céline Sciamma, a été une catastrophe pour la représentation des femmes racisées.

Sa : Oui Céline Sciamma. C’était une vraie catastrophe. Ce film n’était juste pas possible !

So : Ce qui ramène aux mêmes réflexions que le féminisme en tant que mouvement. On sait très bien qu’en tant que femme racisée c’est facile de dire que le féminisme est une affaire de femme blanche et qu’il a été détourné par les femmes blanches également. Je pense que c’est la même réflexion en ce qui concerne le cinéma. Si l’on parle d’un cinéma féminin...Comment dire ? On peut s’y attendre à ce que les femmes racisées soient mal représentées ou sous-représentées, et cetera. Ça pose le même questionnement de la relation entre les femmes blanches et les femmes racisées, caribéennes, afro-descendantes et cetera. Je pense donc que tout comme le féminisme, il existe un cinéma féminin qui doit aussi permettre l’existence de sous-groupes ou de sous-branches afin qu’il y ait une réelle représentation des femmes.

Sa : Oui et tout dépend de la représentation que l’on a de la sexualité d'une manière générale et ce, que l’on soit noir·e ou blanc·he. C’est-à-dire que d’une manière générale la sexualité que l’on a est bien représentée dans nos films. Il suffit qu’une femme blanche ait une représentation de la sexualité un peu hétéronormée pour que l’on soit dans ce questionnement de la sexualité. Et effectivement lorsque l’on est une femme racisée on a un peu plus d'ouverture sur la question. Je ne dis pas que l’on est forcément très ouvert sur l'homosexualité par exemple. C'est vrai qu’il y a cette espèce de clivage lorsque l’on est racisé·e et que l’on n’a pas le droit d’avoir des « kink », tu vois ? Que l’on n’a pas le droit d'avoir des perversions.

So : J’ai l’impression que c’est parce que nous sommes déjà une perversion.

Sa : Oui tout à fait.

So : Par exemple on ne peut pas me « résister ». On est déjà le « kink » de la société entre guillemets.

Sa : Exactement. C’est-à-dire qu’étant donné que nous sommes déjà cible de fétichisme, on ne peut pas avoir de fantasme. On est déjà cet objet-là. Ça complique encore la chose, et je dis ça parce que, par exemple nous avions fait une émission dans Chuichuichui où l’on parlait du « dirty talk ». Cette image, à un autre goût dans la bouche lorsque tu es une femme noire. Et c’est pareil lorsque tu souhaites représenter une femme noire sous ta conception de la sexualité. Personnellement, je trouve que l’on a un problème avec ça. On ne peut pas dire que l’on est des salopes par exemple. Si au lit c’est ton kiff, ça te regarde. Et si tu veux mettre ça en image c’est un peu plus compliqué parce qu’à partir de là on va te dire : « Attends, attends, attends. Il y a un problème. Vous ne voulez pas que l’on vous traite de Salopes ? ».

So : « Et pourtant ! »

Sa : « Et pourtant, vous mettez ça en image ? ». En tant que femme d’une manière générale, déjà, c'est compliqué. Mais alors ! Si tu es une femme racisée ?! C’est doublement un manque de respect ! Par exemple je regardais un épisode de la série Insecure hier.  Il y a un épisode de la saison deux qui raconte l’histoire d’une éjaculation faciale non désirée, non voulue. Il se trouve qu’Issae, le personnage féminin principal, le prend très mal. Elle pète un plomb. Elle dit : « Non ! Mais enfin ! Tu n’as pas le droit de faire ça. Tu aurais au moins pu me prévenir. Je me serais attendue à quelque chose. ».  J’ai remarqué que lorsqu’Issae appelle son amie pour lui raconter la scène, son amie n’est pas contente non plus. La première question que je me suis posée, c'est : est-ce qu’il faut penser que lorsque l’on te fait ça, ce n’est pas bien ? Qu'est-ce qu'il faut que je pense ? Mon avis personnel là-dessus, certes, c'est ma sexualité cependant les hommes ont l’air de dire que ce n'est pas grave. Les femmes avaient l'air de dire que c'est extrêmement grave. Et toi, tu ne sais pas où te positionner là-dessus parce que c'est une série pour les personnes racisées qui semblent te dire : « Vous n‘allez pas en plus nous manquer de respect à ce niveau-là ! ».

So : Oui et je pense aussi que parfois on omet la communication entre les partenaires sexuel·le·s. Il faut d’abord en discuter. Dans le cas que tu as cité ce n’est pas tant si la pratique en elle-même est acceptée ou non, ça te regarde. Tu fais ce que tu veux. Ce sont les affaires de la personne. Mais c’est de se recentrer sur la communication, parler. Est-ce que tu aimes ça ?  Est-ce que tu veux ça ? Est-ce que tu n’aimes pas ça ? Au lieu finalement de commencer un débat sur les opinions de chacun·e sur telle ou telle pratique. Ça ne mènera à rien. 

M : Oui et puis en général dans les films ce type de pratique est soi-disant toujours innée c’est-à-dire que les femmes sont toujours au courant et savent ce qu'il faut faire. Les hommes, eux, de façon très générale, se laissent faire parce qu'ils savent que les femmes vont prendre en charge leurs désirs à eux. Sans forcément qu’ils prennent eux en compte les désirs des femmes avec qui ils sont. La représentation des femmes racisées met en avant cette double dynamique. Raciale premièrement parce que ce sont des femmes racisées et comme on l'a dit, elles sont très vite fétichisées. Soumise deuxièment parce que ce sont des femmes qui sont soumises ou font de l’assistanat et ce en fonction du groupe racial.  

So : Ou la servitude.

M : La Lallab Magazine a un super article qui pose la question suivante : Quel est le rôle dans le cinéma à ton ethnicité ou ton groupe racial ? Par exemple, les femmes africaines et les femmes afro-descendantes sont les racailles de banlieues ou bien les femmes de ménages. Les femmes magrébines et musulmanes sont les mères très conservatrices qui n’aiment pas voir leurs enfants sortir. Accompagné de l’histoire de la fille de la famille qui se sent mal puis arrive un bel homme occidental sur son cheval blanc pour la sauver. Les femmes antillaises et les femmes venant des DOM-TOM, nous sommes les infirmières qui assistent. Nous avons toujours le rôle d’assistante. Nous n’avons jamais de rôle marquant. Je pense par exemple à Firmin Richard qui est une super actrice et pourtant est-ce que je la connais autrement qu’en tant que femme de ménage ou infirmière ?

Sa : Non mais bien sûr.

M : Voir ce genre de rôle au cinéma et avoir une estime de soi assez basse, te dit que quoi qu’il arrive ta place n’est que celle de l’oppression, que celle du·de la dominé·e.

So : Ou bien en périphérie de l'histoire.

M : Oui parce que tu ne disposes d’aucune initiative. Tu te permets quelques commentaires en créole histoire de montrer un peu que tu viens des Antilles ou de la Réunion. Et par la suite, le·la personnage représenté·e à télévision finit par être sexualisé·e ou sensualisé·e. Ça te renvoie une idée de la place de la femme dans sa vie sexuelle. En tout cas des femmes ultramarines dans leur vie sexuelle. Les femmes racisées sont soumises.

Sa : Oui, toujours dans la soumission. J’aimerais rajouter quelque chose pour la femme antillaise. Elle est représentée comme étant la « mulâtresse ». Elle devient l'objet sexuel par excellence. Elle devient la sensualité, le charme et le truc exotique. Le petit fruit, le bonbon, le truc sucré. On est dans quelque chose un peu dégueulasse faut le dire ! Voilà. Lorsque l’on est noire, on est docile, on est soumise et on est cible de fétichisme dans le sens où elle sera soumise et bien gentille. Comme tu le disais, c’est la femme de ménage. La femme de ménage sera Fatoumata Diallo dans l’esprit. Et dès que l’on passe à une personnage plus claire de peau mais pas trop blanche non plus d'un seul ça se transforme en charmeuse, sorcière. Ajoutant une représentation complètement fantasmée, ridicule et exagérée.  Évidemment, tout ça ce sont des sous-couches de conneries.

Pourtant les représenter dans des films ça parait presque normal. Je ne pense pas que l’on verrait une femme noire être représentée comme les personnages de femmes métisses ou blanches. Tu vois ? Ça surprendrait. Pour certains esprits, il y aurait même quelque chose qui cloche avec cette représentation. On dirait que c’est une personne blanche qui a fait ça. C’est un réalisateur, un homme blanc qui a réalisé ce film. Toi-même te dire que ce n’est pas normal. On retrouve aussi l’image de la belle femme noire représentée dans un film. Elle est mannequin, c'est Naomi Campbell. Voilà, c'est un canon, c'est indéniable. On la trouve belle, tout le monde la trouve désirable. Là, il n’y a pas de doute. Elle est presque dominante. On pourrait même dire qu’elle marche sur toi parce qu’elle est grande, elle est fine, elle est longiligne et il n’y a rien qui peut l'arrêter. C'est Beyoncé ! Elle marche sur toi. Encore une fois, là, c'est représenté de façon tellement masculine. Tout simplement que l’on ne se demande pas si, en ne prenant pas de recul, cette femme est lesbienne par exemple. On ne se demande pas si cette femme a subi des choses puisqu’elle est en confiance, tu vois ?

So : Oui et puis c’est rare d'avoir un personnage de femme noire qui ait une quelconque profondeur. Là, je pense que ça commence à changer. Avant les personnages noir·e·s en général mais encore plus les femmes noires étaient extrêmement « plates » en termes d’histoire. Elles ont une seule dimension, elles ont un seul rôle. Par exemple celui de l’infirmière. Et tu ne connais pas l’histoire de ce personnage. Tu imagines, à l’oreille, que l’infirmière vient de quelque part dans l'océan, dans la mer des Caraïbes. Mais tu ne sais pas où elle a grandi, qui sont ses parents, quelle est sa situation, peut-être qu’elle a des enfants, qu’elle est mariée, etc. En tant que personne noire lorsque tu regardes ces films-là, tu ressens qu’il y a aucun intérêt. Tout le monde s'en fout. À part moi peut-être parce que je viens de voir la première personne noire en 45 min de film. Hormis ça, tu ressens bien qu’il n’y a aucun intérêt. Lorsque je t’entendais parler Sarah, je me disais à bien y penser un cinéma féminin pourrait ne pas être lié au problème... Comment dire ? Tu disais plus tôt que chaque femme à sa représentation de la sexualité. Et si l’on va dans l'opposition femme noire et femme blanche, comme on en discutait avec Mélissa, la sexualité n’est pas la même pour les femmes blanches et les femmes racisées. Ça a un rôle différent. La femme blanche par exemple en se découvrant, entre guillemets, le sein pour elle, il s’agit d’un acte libérateur parce qu'elle a toujours été cette vierge, cette Sainteté, etc. Couvrez-moi, ce sein que je ne saurais voir, et cetera. Alors que pour la femme racisée qui a été nue pendant des centenaires...

Sa : Oui, leurs seins ont été vu par tout le reste de l’humanité. 

So : Exactement. Il n’y a aucun, j’exagère un peu, acte libérateur en se découvrant dans ce sens-là. Tout le monde connaît nos corps, entre guillemets. Tout le monde nous a déjà vu. Nous étions littéralement dans des zoos ! Je pense que c'est là où ça devient peut-être plus compliqué de représenter une femme. Je pense aussi que de toute manière, il y aura toujours des critiques à faire. Mais la question se pose : comment représenter correctement, entre guillemets, des femmes racisées ? Après tout, la sexualité est tellement personnelle. Ça renvoie bien évidemment à plein d'autres discussions. Un cinéma féminin, oui mais comment ?

Sa : Oui et une chose à laquelle je pense est que les personnages racisées ne sont pas associées à la tendresse.

So : Ô je pensais à ça !

Sa : Oui. Elle a toujours subi des choses, tu vois ? Par exemple :  si elle ne montre pas son corps c’est parce qu’elle a des cicatrices.

So : C’est vrai ça ! Cette affaire de cicatrice.

Sa : Oui. Ce sont de vieux relents...

So : J’y pensais aussi parce que lorsque Mélissa m’a proposé l’idée de cet épisode et de le faire justement avec toi, je me suis dit : Moi, en tant que femme noire, foncée de peau, les gens n'ont pas été tendres avec moi. C’est vraiment en y réfléchissant que j’ai réalisé que les femmes racisées n’ont pas un bon rapport à la tendresse. 

Sa : Elles sont fortes, tu comprends ? Elles n’ont en pas besoin.

So : Ce qui nous rappelle les femmes potomitan !

Sa : Une femme racisée, elle a une peau super dure de toute façon. Tu peux toujours la caresser, elle ne sentira rien. C’est toujours représenté comme ça. Elle a subi des choses, elle a souffert. Mais tu comprends que c'est une femme forte. Elle n’a pas besoin de ta tendresse, elle n’a pas besoin de toi. Et toi, tout ce dont tu rêves c'est de la posséder. C'est de lui faire faire des choses. C'est le fantasme de casser sa carapace, tu vois ? Mais tu n’y arriveras pas parce qu’elle est forte. La femme noire, c'est tout, elle est forte. Elle est comme ça. Oui, elle est comme ça.

M : Hors du cas des femmes noires, la représentation des femmes asiatiques dans les films est également problématique. Les femmes sont muettes ! Elles sont un pot de vase que tu mets à côté et les hommes les utilisent à leur disposition. C'est assez intéressant. Je ne me rappelle pas avoir vu ne serait-ce qu'un film avec un personnage où l'actrice principale, est une femme asiatique. Ou qui ait un rôle profond, qui ait quelque chose à dire et qui revendique des choses. Très souvent ce sont les petites épicières ou les petites restauratrices. Elles sont menues.

So : On les prend souvent âgées, tu sais. C’est le couple d’asiatique qui a un restaurant pas loin, qui ont des opinions très fortes et qui parlent très forts. On reste dans les stéréotypes.

M : C’est ça. C’est assez fou de constater que le cinéma est très opaque au changement de ces rôles. Par exemple la représentation des femmes maghrébines ou des femmes arabes, lorsque j’y pense, la femme arabe, elle a toujours vécu un truc qui l'a rendu complètement chétive. Elle est toujours en peine. Elle traîne son corps, elle traîne sa souffrance.

So : C’est forcément dû à son père. Tu sais à quel point elles sont soumises aux hommes.

M : Oui et lorsqu’elle arrive en France, elle n’ose pas. Elle ne fait jamais trop de bruit non plus. Elle reste dans son carcan. C’est souvent ses enfants qui lui disent : « Non, tu ne peux pas rester comme ça. ». On n'en sort pas. Pour passer à un autre cas et une autre problématique qu’est le cinéma ultramarin, il est difficile de trouver des informations à ce sujet. Si vous essayez de chercher en ligne actrice et réalisatrices des DOM-TOM, Il semblerait que peu de personnes s’y intéressent, ce qui m’a choqué. Il existe peu d’articles par exemples sur les femmes ultramarines, sur ce qu’elles réalisent et ce qu’elles font. Il n’existe aussi pas de distinction, nous sommes dans la catégorie des femmes noires, en général. Il y a les femmes magrébines et les asiatiques d’un côté et les femmes noires et racisées de l’autre. C’est-à-dire que nous sommes toutes les mêmes, femmes des îles. Puis les métisses et les noires vont avoir les rôles fait pour les femmes d’origines africaines, entre guillemets. On va être effacée, invisibilisée. Puisqu'il n’existe pas de représentation d’un cinéma 100% guadeloupéen par exemple. On connaitra nos vidéastes et nos réalisatrices parce que localement des petits festivals les mettront à l’honneur. On est un dans un flou et dans un tout cinématographique. On n'a pas notre place individuelle.

Sa : C’est ça. Et je ne suis même pas sûre que ce soit parce qu’on ne nous laisse pas la place, c'est juste que la place a été prise. Par exemple, moi je veux faire des films, je veux faire du cinéma, il y en a qui ont pris cette place-là. Puis on les a même récompensés. C’est vrai que par exemple Euzhan Palcy a été la première réalisatrice femme française à recevoir un César pour son premier film. La première réalisatrice noire en France. Et Antillaise !

M : Oui et au départ, ça été dur pour elle. Elle a d’abord été reconnue internationalement avant d'être reconnu par la France.

Sa : À un moment donné, la France doit la reconnaître. Elle est Antillaise, elle est française.

So : La France est trop arrogante.

Sa : Il est nécessaire que l’on ouvre enfin les yeux. C’est comme le cas de Thierry Henry, il est devenu français tout d’un coup alors qu’avant il était Antillais. Sauf que là c'est une femme et que c'était son premier film. Et elle n’a pas reçu d'autres prix.

So : Ce n’est pas du sport.

Sa : Voilà. Elle a quand même eu le mérite ou du moins illes ont eu le mérite de la récompenser parce que, à un moment donné, il faut arrêter les conneries. On n’en parle pas alors que c’est une réalisatrice française. C'est la première femme noire. C'est la première personne noire à recevoir un César. Je ne sais plus en quelle année, en 1984 ou en 1985 et jamais plus j'en entends parler.  Pour continuer sur ces cas de figures, Omar Sy reçoit en 2012 le César du meilleur acteur. Pour la première fois une personne noire reçoit ce prix, en 2012 ! C’est n’importe quoi.  Personne n’a fait aucune référence à Euzhan Palcy. En disant : « Oui avant lui, il y a une personne qui a reçu un César. Ça fait déjà plus de 20 ans, 30 ans. ».

So : Il y a vraiment un effort, comme disait Mélissa, de nous effacer. Ça ne devrait pas être notre mission de pallier à ce manque de reconnaissance.  Ça ne devrait pas être notre mission, notre poids de devoir nous battre non seulement pour faire des films, alors que c’est déjà compliqué, mais en plus de se battre pour être reconnu·e, pour être vu·e, pour être compris·e et etc. Ça fait vraiment beaucoup. Ça devient difficile lorsque tu veux évoluer dans le milieu du cinéma de voir à quel point tu es facilement ignoré·e·s. Il y a un effort conscient.  On parle aussi de générations qui ont été élevées à ces visuels et à ces représentations. Nous les avons intégrés. L'impact que ces choses-là ont sur nous est indéniable. Et l'impact que ça a sur les populations blanches qui pensent que c'est la vérité est aussi indéniable. Illes pensent que par exemple une femme racisée soumise, c’est nous, c’est tout le monde et c’est ça l’impact. En tant que femme racisée et noire, on l’intègre de façon inconsciente.

Mais par le fait d'être noire et racisée et d'exister autour de femmes noires et de femmes racisées, nous permet de nous dire que ce n‘est pas la vérité. Alors que les populations blanches qui ne sont pas en contact avec les personnes noires et les personnes racisées et leur seul accès aux personnes racisées sont ces représentations complètement plates. Et en une dimension. Pour eux c’est une vérité. Il l’a perpétue de génération en génération parce qu’il n’y aucun effort de déconstruction et de dire tout simplement : « Ok, on raconte un peu de que des conneries. Ce n'est pas vrai. ». Ce discours-là n’existe pas. 

Sa : Je dirais même que nous-mêmes à force de voir ce genre de représentation, dès que ça change, on se demande si c’est une bonne chose ou non. Je sais que personnellement, il peut m’arriver de me demander durant plusieurs secondes : « Est-ce que c’est bien ou pas ? ». Tu vois ? « Est-ce que j'aime bien ça ou pas ? ». Puis pour revenir à la sexualité ou du moins la représentation de la sexualité des femmes noires et racisées dans le cinéma, le film de Mélina Matsoukas [2] Queen & slim... Je ne sais pas si vous l'avez vu.

M : Je ne l’ai pas encore vu.

So : Oui je l’ai vu.

Sa : Alors je ne spoile rien. Je vais juste vous dire ce que j’ai ressenti à un moment donné. Dans le film, Queen, le personnage féminin principal change de tenue. Cette scène est d'ailleurs assez visuelle.

So : Lorsque les personnages sont en cavales ? Ça, ce n’est pas un spoiler.

Sa : Oui, voilà. Illes s’apprêtent à partir. C’est un peu la panique et etc. Queen, donc, change de tenue puisqu’il ne faut pas qu'on la reconnaisse. C’est à ce moment que j’ai eu cette seconde où je me suis demandée : « Est-ce que j'aime comment elle est habillée ? Est-ce que ça représente les femmes noires ? Est-ce que l’on n'est pas dans l'exagération ? C'est une femme qui a fait ce film, est-ce qu'elle assume ça ? ». J'ai eu tout un tas de questions comme ça qui sont venus. Je me suis dit : « C'est une femme noire qui a fait ce film-là, elle a mis en scène une femme noire qui s'habille comme ça. Est-ce que c'est bien ? ». Et pourquoi pas ?

So : C'est intéressant. Personnellement lorsque je l'ai vu, j'ai trouvé ça intéressant qu'elle montre une femme noire sous différents aspects. On retrouve Queen dans la voiture d’apparence plutôt strice. Elle est respectée et amoureuse. Et d’un seul coup, on se retrouve avec deux Queen. J’ai aimé cette approche parce que ça se rapproche plus de nos personnalités.

Sa : Oui mais... Comment te dire ? Cette espèce d’image de la dévergondée m’a fait me poser la question : « Est-ce que lorsque l’on porte un col roulé, on ne peut être une super coquine par exemple ? ». Tu vois ?

So : Le fait que la réalisatrice le montre, m’a fait penser et c’est intéressant, comme étant les deux personnalités/parties de Queen. Deux personnalités/parties dans un même corps. Queen avant et après, là, ça aurait été deux personnages dans une histoire banale. Tu aurais d’un côté la Queen col-roulé et la Queen dévergondée. J’ai trouvé ça intéressant que la réalisatrice rassemble ces deux personnages qui normalement aurait été les deux amies : Celle hypersexualisée et celle qui a que des bonnes notes. C'est bien que l’on ait des films qui nous poussent à se poser des questions.

Sa : Oui et c’est arrivé directement. Tu t’es posée la question. Tu t’es dit « Pourquoi ? Qu’est-ce qui te dérange ? ».

So : Oui, c’est comme lorsque je vois Firmin Richard. Je suis contente d’avoir quelque chose qui me pousse à la réflexion.

Sa : Évidemment, je n'ai pas encore vu ça dans le cinéma français et on en est bien loin, mais ce que je veux dire c’est que les réalisatrices françaises d'origine africaine ou d'origine antillaise qui essaient de faire des choses, vont se brimer. Elles vont se brimer volontairement parce qu’on va leur mettre beaucoup de pression. Ça va être compliqué pour elles de se lâcher. Je sais que personnellement, si un jour j'ai la chance de faire un film produit avec beaucoup de budget, je ne sais pas comment je pourrais aborder certaines questions parce qu’il y a plein de choses qui rentrent en compte. Je vais me demander : « Est-ce que l‘on va accepter ça ? Est-ce que ma communauté va accepter ça aussi ? ».

So : C‘est vrai que c’est une question : « Est-ce que tu ressens une pression en tant que réalisatrice de représenter une femme noire ? ».

M : Femme noire et/ou femme racisée.

So : Oui, femme noire et femme racisée.

Sa : Évidement, si je représente une femme racisée j’aurais plus tendance à dire noire parce que ça me concerne. En tout cas, si je mets en scène n'importe quelle femme racisée ce sont des choses à prendre avec des pincettes. Puis lorsqu’elle ne fait pas partie de ta communauté, qu'elle soit racisée ou non, tu fais attention à ce que tu fais parce qu'il y a des choses qui peuvent être mal prises. Alors même que tu as envie de te libérer de certaines choses. Je prends un exemple tout bête. Si je souhaite représenter une Dominicaine dans un rôle autre que ce qu'on peut supposer qu'elles sont. Eh bien, ça va poser question. On va me demander « Pourquoi t'as une Dominicaine pour jouer cette personne ? »

So : « Pourquoi elle et pourquoi pas quelqu’un·e d’autre ? »

Sa : Oui, voilà. « Si tu as pris une dominicaine, ça veut dire quelque chose ? Pourquoi tu ne l’as pas représenté comme ça ? ». Je me suis posée cette question un million de fois. En me disant pourquoi je ne pourrais pas prendre cette personne pour un rôle. Après tout c’est une personne caribéenne. Qu’elle soit dominicaine, portoricaine ou même jamaïcaine, c’est une personne caribéenne. Mais ce n’est pas la question. Malheureusement, si je veux représenter des personnes de la communauté caribéenne et que je souhaite engager une dominicaine, je recevrais des questions liées à ce choix. Et moi-même, je vais me dire qu’il faut que je fasse attention à comment je la représente parce que je ne veux pas la représenter comme un cliché ou comme un stéréotype. Il faut que j'aille à l'opposé de ça. Ce sont ces questions qui me viennent en tête.

So : C’est intéressant parce que ce sont que les personnes racisées qui prennent des pincettes.

Sa : Oui ! C’est bien ça le problème. C’est-à-dire qu’à un moment donné, on se demande : « Mais pourquoi ? Pourquoi c'est moi qui devrais à chaque fois faire attention ? »

M : On est aussi coincé·e dans ce discours en général de l’imaginaire colonial et de l’imaginaire occidental sur ce que sont et font les femmes ultramarines et les femmes racisées. Lorsque l’on veut sortir de ce discours et bien c’est compliqué.  Par exemple, assumer d'avoir des kink. C’est compliqué de le faire parce que l’on voudrait aller à l’opposé du discours général. C’est à se demander si nous avons le choix. Soit aller à l’opposé du discours général, soit poursuivre le discours général. Malheureusement faire le choix de poursuivre le discours général c’est renforcé l’imaginaire colonial et occidental. Et faire le choix d’aller à l’opposé peut stigmatiser tout un pan de nos communautés.

Finalement et étant donné que ce discours n’a pas été fait pour moi mais a été fait par et pour des personnes extérieures, essayer de contrer ce discours n’est pas évident. On se retrouve quelque part à dire : « Non, je ne veux pas être ça parce que c'est ce qu'il m'a dit ». Pourtant si je ressens l’envie de me dire « Bon ! Petit club libertin dimanche. » Et bien je n’irais pas en me disant que c’est dommage, ça me fait penser à ce film que j’ai vu. J’en ai marre que l‘on pense que les femmes guadeloupéennes par exemple soient comme si ou comme ça. Le problème des représentations au cinéma, c'est qu’elles sont en deux dimensions. Il n’y a pas d’autres idées. On ne peut pas, comme on l’a dit, avoir un dialogue profond. On ne peut pas avoir un passé non-traumatique. On ne peut pas être prude mais on ne peut être dévergondée non plus, si non comme tu l’as dit Sarah, ça ne va pas plaire à notre communauté. Nous avons le cul entre deux chaises. J’ai l'impression que l’on ne peut jamais satisfaire. Et si l’on veut que notre film soit réalisé.

So : Soit financé.

M : Soit produit et distribué,  il faut aussi que ça colle avec ce que recherche les grandes compagnies du cinéma français.

Sa : Exact.

M : Ça veut dire que si moi j'ai envie de raconter l'histoire d'une femme, mettons, qui va à la rivière, qui s’y baigne et qui se découvre une connexion à la nature. Ce n’est pas une connexion à un homme ou une connexion à quelque chose de matériel. C’est une connexion avec son île, c’est très poétique. Ce sera plan-plan. Personne ne veut pas voir une femme noire qui va juste se baigner à la rivière. On veut qu'elle fasse quelque chose d'autre. On veut qu'elle soit sexuelle. On veut qu'elle soit sensuelle. On veut qu'elle attise les regards. On veut tout simplement qu’il y ait un intérêt à ce qu'on la représente au cinéma. Et si cet intérêt n'est pas présent, pourquoi perdre son temps ?

So : Pourquoi se casser la tête ?

M : Les femmes racisées ne sont importantes au cinéma que si elles apportent un quelconque intérêt au film. Les histoires banales ne sont pas pour les femmes racisées. Alors que les femmes blanches en général, elles peuvent avoir un rôle où il n’y a pas d’action, où il n’y a que de la poésie. Ça va coller à cette nature qu’on les femmes blanches au cinéma.  Mais les femmes noires ? Il faut qu'elles aient un intérêt autre que juste être le personnage qui va se baigner à la rivière.

Sa : J’ai eu cette fameuse réflexion : « Il faut qu'elle ait un intérêt ». Je l'ai eu à l'école de cinéma. J’écrivais ou du moins on devait écrire un petit sketch, un petit scénario et j‘expliquais que pour le casting on pourrait essayer d’avoir un casting plus inclusif.  La réponse à cette explication était de me demander quel était l’intérêt ? J’ai tenté d’expliquer que c’était simplement pour ouvrir le casting à des personnes de couleurs différentes. La personne avec qui je discutais, mon interlocutrice, m’a dit « Non. Ce n’est pas que l’on ferme le casting mais il n’y a pas de personnes noires dans le scénario. » Oui d’accord mais ce n’est pas écrit non plus qu’il s’agit d’un scénario que de personnes blanches. C’est à ce moment que la réflexion m’ait venu. Je me suis dit qu'étant donné qu’il n'y a pas d'intérêt à donner le rôle à une personne racisée, qu'elle soit noire ou autre, peu importe, le casting ne le sera pas accessible. Enfin, illes peuvent venir. Mais on ne cherchera pas spécifiquement à faire venir des personnes racisées à ce casting là parce qu’il n’y a pas d'intérêt à les mettre dans ce scénario.

So : Tout ça revient à ce que l’audiovisuel, le cinéma a été ou peut-être l’est encore, un outil du colonialisme et du néocolonialisme parce que c'est un outil de représentation de ce que le colon voit ou veut voir.

Sa : Ce n’était pas son intérêt premier mais ça l’est devenu. C’est devenu un outil de propagande.

So : Exactement et ça revient à ce que ce que tu disais Mélissa, que nous sommes enfermé·e·s dans cette vision coloniale. Soit, je vais dans ton sens, même si tu as raison entre guillemets, et ça me déplaît à moi comme à ma communauté parce que je n’ai pas envie d’être d’accord avec le colon. Soit, je ne vais pas dans ton sens et je ne suis pas diffusée, je ne suis pas produite et je ne suis pas vue. Le cinéma est un outil de colonialisme et de de néocolonialisme. Je trouve ça dommage que l’on n'enseigne pas plus ou du moins que l’on ne mette pas plus de caméras dans des mains de jeunes enfants racisé.es. Je le déplore.

Sa : En école de cinéma, illes font exactement la même chose que tout ce qu'illes ont vu jusqu'à présent. Illes reproduisent exactement la même chose. Pour en prendre conscience, il faut vivre des choses. Il faut vivre du rejet. Il faut vivre le : « Quel intérêt d’une inclure une personne noire dans ce scénario ? ». Ça vécu, tu te dis « D’accord ! Alors on va revoir la chose d'une autre de façon ! ». C’est vrai que pour moi, j’avoue, jusqu’à ce moment je ne me posais pas la question de savoir qui serait la personne jouerait dans nos sketchs. Est-ce qu’elle est blanche ? Est-ce qu’elle est noire ?  Je ne voyais pas la différence. C’est vrai que l’on prenait les acteurs et les actrices que l’on avait sous la main parce que l’on était à l’école. Avec le temp et si tu veux du changement c'est-à-dire que tu souhaites avoir une personne spécifique, on te demande quel est l’intérêt de vouloir cette dite personne spécifiquement. Sous couvert de bienveillance, on te dit que c’est ouvert à tout le monde mais que l’on n'est pas obligé·e de mettre une personne noire. Quel intérêt de mettre une personne noire particulièrement ? De répondre que c’est pour les représentations. Et que l’on te dise que l’on s’en fout, que c’est pour tout le monde. Oui mais non ! Ça ne marche pas comme ça. Voilà ! Tu commences à réaliser que et malgré le fait que je n’étais pas la seule personne noire de mon école, ce n’était pas la question. Il existait cet espèce de truc de dire que l'on vit tous en communauté et que l’on n’est pas raciste parce que l’on ne voit pas la couleur de peaux des gens.

M : Ah la la, le fameux. Ma race c’est l'être humain. Alors celui-là, c’est le plus pervers des racismes ordinaires. Cette facilité de...

Sa : Comment tu peux dire que ce n’est pas ça le racisme ?!

M : Le problème de ces représentations est, en prenant l’exemple de la Guadeloupe qui ne dispose pas d’éducation sexuelle tant dans les écoles qu’auprès des parents, les seules façons de se construire sa sexualité sont les représentations cinématographiques et pornographiques. La place des femmes racisées dans la pornographie terrible !  Elles sont fétichisées.

Sa : Oui par rubrique. Il existe des rubriques.

M : Exactement. La question se pose : Comment pouvons-nous découvrir notre sexualité hors des sentiers battus, c’est-à-dire hors du cinéma et de la pornographie ? Pour ne finalement pas se sentir « anormal·e ». Par exemple, j'ai rarement l'impression qu'ici, en tout cas dans les Antilles et dans les territoires ultramarins, que les femmes aient une première expérience sexuelles agréables.

So : Leur plaisir être au centre ? Non !

M : L’histoire se répète, c’est toujours la même chose. Nous faire croire que faire une fellation à un type malgré que l’on n’en ait pas envie c’est normal. Nous faire croire que ce n’est pas grave si les hommes ne trouvent pas le clitoris. Ou encore de nous faire croire que se toucher durant l’acte sexuelle ce n’est pas normal : « Tu me retires ma part de travail là ! »

Sa : Exactement. C’est moi qui dois faire ça.

M : Le manque de représentation sur la sexualité des femmes et des femmes racisées, nous laisse, en tant que spectatrices, peu de choix quant à l’exploration de notre sexualité. Et comme pour tout, c’est en expérimentant une situation désagréable que finalement on va se dire que l’on peut changer les choses. Ça commence par nos petites histoires amoureuses, notre première fois et peut-être que ça va durer des années avant que l’on se rende compte que c’est nul. « Je n’aime pas du tout ! Et mon partenaire, s’en fout si ça me fait mal et pense que c’est chouette ». Alors que si tu as mal c’est peut-être parce que tu as un problème gynécologique ou bien un problème psychologique parce que tu ne veux pas de cette pénétration. Je suis rentrée dans les détails mais ça résume bien. On ne dispose pas des outils nécessaires à notre bien être sexuel. Les outils dits médiatiques sont biaisés, faux ou nous donne une image complètement erronée la plupart du temps. Il faudrait que l’on est des outils qui nous disent, nous expliquent « Les filles, vous savez quoi ? On va vous apprendre un truc super à propos de votre clitoris. En grande majorité, c’est lui qui vous donnera le meilleur orgasme de votre vie ! ».

So : On n’a pas le droit d’en parler. Ça, c'est tabou.

M : Si on parle franchement, il m'a fallu des années avant que je puisse dire à mon partenaire que ce qu’il était en train de faire ne servait pas à grand-chose. Le cunnilingus que tu me fais, d’accord, tu es où ? Je vais te donner une carte !

S : Je vais te donner des indications.

M : Bien sûr, il faut avoir ce partenaire qui est prêt à écouter. Autant nous, nous sommes bloquées dans ces représentations autant eux, les hommes sont bloqués sur ces représentations. C’est inné. Ils n’ont pas à apprendre. Ils doivent tout savoir parce que ce sont des hommes. 

So : Ils connaissent déjà tout.

M : Si en tant qu’homme je prends mon pied, alors toi aussi tu prends ton pied. Il n’y a pas de raison.

So : Tu sais ! Je ne suis même pas sûre, qu’eux, ils prennent leur pied.

Sa : Ils pensent.

So : Je veux dire pour qu’ils prennent leur pied il faut qu’il y ait ne serait-ce qu’une petite sensation... Je ne sais même pas si vraiment ils prennent leur pied. Dans les représentations, tout est dans la performance. C’est l'homme qui donne et c'est la femme qui reçoit. Je regardais d'ailleurs quelque chose sur Netflix qui disait littéralement : La femme reçoit et l'homme donne. Les hommes, eux-mêmes, se mentent dans cette fantaisie et dans ce schéma de performances. Je pense qu’eux-mêmes sont enfermés dans cette représentation. Ils font semblant comme nous on fait semblant. On est donc deux dans un lit à ne pas savoir et sans vouloir oser poser des questions. On se ment quoi.

Sa : Ça reste toujours très compliqué de trouver un juste milieu. Je sais que personnellement au fil des années avec les expériences avec des hommes blancs, des hommes noirs et tout ça, on ne voit pas les différences. Plus on avance en âge, plus ta sexualité évolue et la mentalité, entre guillemets, des hommes évoluent aussi là-dessus. On ne va pas se mentir, ça ne reste pas figé.  En tout cas, c’est vrai que les expériences que j'ai pu avoir avant, surtout en étant plus jeunes, avaient un espèce de goût nouveau de je-sais-tout. Que les hommes soient noirs ou blancs il n’y avait aucune différence là-dessus. Et puis, plus ça évolue et plus j'ai eu cette sensation de me retrouver avec les miens. On se comprend. Il y a quelque chose d'un peu plus...

So : Nuancée ?

Sa : Oui, plus nuancée. C’est-à-dire qu’il n'y avait plus cette fétichisation. Ce n’est plus de dire « Tu es mon objet ». 

So : « De désir ».

Sa : Oui et ça je ne l’ai pas vu tout de suite, évidemment.

M : C’est sûr.

So : Ça arrive tout le temps comme ça.

Sa : Oui tout à fait. C’est toujours un peu compliqué de se construire dans sa sexualité lorsque quelqu'un·e ne vous écoute pas. Et plus j'avance et plus je me dis : « Les gens de ma communauté sexuelle savent m'écouter. » Ça, c'est indéniable. Avant, ce n’était pas le pas cas. Plus jeune, nous naviguions dans les stéréotypes avec des œillères. J'avais l'impression que par exemple c'était : Je suis un homme noir donc il faut que je sois représenté comme un homme noir. Tu vois ? Pour moi, c’était un peu effrayant.

So : Je vois. 

Sa : Il est dans la représentation d'un homme noir.

So : Il joue l'homme noir. Il joue son rôle.

Sa : Oui, il a appris à être comme ça. C’est seulement au fur et à mesure lorsque tu te rapproches un peu, que tu dis « Bon ! Maintenant on est plus sur la même longueur d'onde. » Tu découvres ton corps aussi. Tu sais ce que tu aimes et tu te rends compte que tu peux parler. Bien sûr, suivant les hommes que tu rencontres. Il y a en a certains avec qui tu peux parler et ça définit par la suite quel est ton type d'homme.

So : Cette représentation dans laquelle l'homme noir on l'enferme et il s'enferme commence très jeune. Par exemple, lorsqu’on était au Carnaval avec Mélissa à Saint-François, j’allais prendre ma voiture avec aucun sentiment d'insécurité. Puis je passe par la plage de Saint-François, la plage des raisins clairs, il y avait une famille assise sur le trottoir. Un des hommes dit en créole : « Ah ! Tu fais juste ça là. Si quelqu’un·e te regarde ou te vois, tu n’as leur montrer ou leur faire pipi sur eux ». Sur le moment où j’ai entendu ça, j’ai continué à marcher. Je ne comprenais pas. Je regarde un peu et il y a un petit garçon noir, de quoi cinq ans ou six ans, qui voulait faire pipi. Il regardait, j’imagine, son père pour lui demander s’il peut faire pipi là ou s’il doit chercher un endroit un peu plus discret. Ce qui m’a choqué c’est la façon dont le père dit à son enfant « Fait ce que tu veux, va pisser où tu veux. Et si ça dérange quelqu'un·e, tu lui montrer ton pénis ou tu lui pisses dessus. » Imagine ! Ça m'a fait repenser à tous les appareils génitaux que j'ai vu dans ma vie que je ne voulais pas voir. Je me suis dit que ça commence comme ça ! Le père a vraiment dit, si ça dérange quelqu’un·e tu n’as juste qu’à montrer ton pénis. Je me suis dit : « Mais non ! ». « Tu peux aller derrière l’arbre. » Théoriquement, à cinq ou six ans personne n’est censé chercher à regarder quoi que ce soit chez toi mais tu peux simplement aller derrière l’arbre. Ce n’était pas besoin de rajoute cette performance, cette arrogance. Il voulait juste se vider la vessie. Il était une heure du matin, voilà quoi ! Je me suis vraiment dit : « Putain, tous les hommes dont j’ai vu l’appareil génital sans n’avoir rien demandé. ». Peut-être qu’ils ont entendu la même chose.

Sa : Pour l’anecdote, c’est très personnel et ça ne regarde que moi, j'ai toujours eu un rapport à la sexualité assez ouvert. Je ne dirais pas décomplexé mais ouvert dans le sens où je peux tout entendre. Je peux tout comprendre. Même s’il y a certaines pratiques qui me déplaisent, je n’ai jamais été fermé à certains sujets. Par exemple : Voir des sexes ne m’a jamais choqué ni dérangé. Bien évidemment, je ne regarde pas des sexes toute la journée non plus. Ce que je veux dire c’est que c'est ça ne me dérange pas. J'ai voulu valoriser, notamment au travers de mon compte Instagram, la sensualité de la féminité. Je m'axe là-dessus, notamment pour l'acceptation de soi, de son corps. Se dire on peut vivre peu importe ce à quoi on ressemble. Ce n’est pas que j‘ai réalisé ça plus tard mais au fil du temps, je me suis dit « Si tu l'assumes comme ça, il faut assumer les conséquences aussi. » Je m’explique. Tu ne peux pas te laisser aller sur la sexualité sans que l’on te juge. C’est impossible.

So : Malheureusement.

Sa : À un moment donné, il faut juste l'assumer. Il faut dire : « Oui c’est comme ça ! » Que ce soit dans mon travail ou que ce soit sur mon compte Instagram avec mes photos où j’ai envie de représenter ce penchant là que j'ai c'est assumé, maintenant c'est bon. J’ai toujours eu ça mais avant je ne l'assumais pas. Je ne voulais pas que l’on vienne me faire chier donc je ne le faisais pas. Désormais, c’est assumé. Je suis au clair avec ça et tout va bien. Bien sûr, il y a des hommes qui ne voient que l'aspect premier c’est-à-dire c’est une femme et elle est bonne.

So : L’aspect sexuel.

Sa : Oui. « Elle montre son cul donc je peux me permettre de lui envoyer des photos de mon pénis. ».

So : Non !

Sa : Pour tout vous dire, ça m’arrive au moins trois quatre fois par an de recevoir des photos non sollicité sur les réseaux sociaux. 

So : Oui, non sollicité.

Sa : J’aime beaucoup Instagram parce qu’illes proposent l’option...

So : Contenu sensible !

Sa : « Est-ce que vous voulez la voir ? » Il n’y a même pas de bonjour avant. C’est ça ce qui me dérange.

So : Mais Sarah ! Une femme sexuelle n’est pas polie ! Tu n’as pas besoin d’être charmé. Dire bonjour, c'est charmant ça.

M : Aussi, tu n’as besoin d’avoir un bonjour si tu te dévoiles déjà sur internet.

Sa : Oui. Ou pa ni pon rèspé [3] « Tu n’as aucun respect pour toi alors pourquoi est-ce que je m'embêterais ? » Voilà ! Les hommes se permettent. Évidemment, eux, ils ne vont pas les mettre sur les réseaux sociaux en me taguant dessus. Ils vont me l'envoyer en message privé comme si j'en avais envie et comme si j'avais discuté avec lui toute la nuit. C'est systématique. Personnellement, j’associe ça, et le mot va peut-être paraître un peu fort, à du viol visuel. C'est du viol visuel. Les hommes ne te demandent pas la permission. Ils t'imposent un sexe ! Voilà ! Je n’ai pas dit oui ! Tu sais, je crois que je le prendrais même mieux si un homme m'envoie un message pour me dire : « Bonjour, j'ai vu tes fesses aujourd'hui.  Est-ce que tu as envie de voir mon pénis ? »

So : Tout simplement ! La communication.

Sa : La communication.

So : Si ça se trouve, écoute depuis ce matin,  j'ai envie.

Sa : Je réponds oui ou non. C’est une question comme une autre. Si je n’ai pas envie de répondre alors tu ne me l’envoies pas.  On peut discuter.

So : C'est intéressant parce que le respect n'est pas... Comment dire ? Le respect est à tout le monde. Un homme peut le donner à qui il veut. Il va voir une fille, il va voir ses fesses sur Instagram et il dira non. Le respect n’est pas une notion universelle.

Sa : Le respect, c'est au mérite. Ce n’est respecter tout le monde parce que tout le monde est respectable mais c’est respecter au mérite.

So : C’est eux qui décident de ça. Ce n'est toi qui décides de ça.

Sa : Oui. Ils ont chacun leurs propres valeurs. Il y a des gens pour qui, prenons par exemple un dictateur ou un tueur qui massacre des gens il y a un degré où on ne peut plus les respecter, montrer ses fesses est comparable à massacrer des gens. Dans la tête de certains c’est exactement la même chose. On ne respecte pas les gens qui montrent leur fesse puisqu'évidemment c'est forcément sexuel, tu vois ? Ça ne peut pas être que sexuel.

 


[1] Amandine Gay est une réalisatrice, comédienne, autrice et afroféministe française née le 16 octobre 1984. Son premier film, Ouvrir la voix est un documentaire donnant la parole aux femmes noires de France.

[2]  Mélina Matsoukas est une réalisatrice et productrice afro-américaine.

[3] Créole guadeloupéen, traduction : Tu n’as pas de respect

 

Ressource supplémentaire :

  • Lallab Magazine "Top des 8 stéréotypes de femmes racisées dans le cinéma français" (article)

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