La féminisation de la photographie, une nouvelle vision artistique

 
Féminisation : 
  1. Atténuation, chez l'homme, des caractères sexuels secondaires masculins, suivie de l'apparition de caractères sexuels secondaires féminins.
  2. Augmentation de la proportion des femmes dans une profession, une organisation, etc. 

©Larousse

 

Avant-propos : En compagnie de Clarysse Thildorant, photographe-designer, nous discutions de l’évolution de la photographie en Guadeloupe et l’engagement des femmes dans ce domaine.

 

Mélissa : Le paysage photographique sur nos îles est très masculin, que ce soit dans la vision ou dans l'exécution des photographies. Pourtant, depuis quelques années, ce paysage évolue avec l'apparition de femmes qui réinventent ce que nous connaissons déjà de la photographie. Pour en discuter, nous sommes en compagnie de la designer graphique Clarysse. Salut Clarysse !

Clarysse : Salut à vous les filles !

M : Est-ce que tu pourrais te présenter, dire qui tu es, peut-être d'où tu viens, si tu le désires aussi. Qu'est-ce que tu fais et depuis quand ? La suite viendra toute seule.

C : D'accord, ça marche. Je suis Clarysse, originaire du Lamentin. Cette année j'ai 23 ans et je suis designer graphique. Je suis revenue en Guadeloupe depuis maintenant trois ans. Trois ans pour explorer un peu ce qui se passe ici et pour essayer d'apporter ma pierre à l'édifice de notre île.

S : Tu disais que tu es revenue depuis trois ans, que tu évolues dans le domaine de l'art et que tu es une designer graphique. J'aurais aimé savoir quelle est ta vision, sachant que c'est un monde qui est assez masculin, comme l’a dit Mélissa, dans la vision et dans l'exécution.  En tant que femme quelle est ta vision lorsque tu évolues dans ce domaine artistique ?

C : C’est vrai qu’en Guadeloupe, on retrouve une vision très masculine de l'art et beaucoup de la photographie. J’aime explorer l'art en utilisant la photo, le dessin ou alors les matières plastiques comme des médiums d'expression. J’utilise aussi mes modèles, par exemple en photo comme des outils pour créer une certaine vérité. Ce qui veut dire qu’au travers de mon art j'essaie de transmettre ce que je ressens, ce que j'aime et ce que j'ai envie de communiquer. C’est un peu comme le jeu d'acteur et de réalisateur. J'essaye de transmettre ma vérité des choses, des corps, des espaces à travers des médiums différents comme la photo.

M : C'est bien que tu aies souligné l'outil puisqu’on a eu cette conversation juste avant d'enregistrer le podcast avec Solène. Je regardais tes stories à la une sur ton instagram et en voyant tes photos, je me suis dit que c’était intéressant d'avoir une photographe qui utilise ces modèles non pas comme le centre de la photo, mais comme un tout. Les modèles jouent comme l'environnement et les deux sont très en balance. On dirait que ta modèle féminin est présent non forcément pour représenter un corps sexualisé, dans le sens où les positions ne sont pas suggestives à. Le·la modèle joue un rôle très équitable dans le jeu de ta photographie. Moi j'adore.

C : Merci ! Je trouve que c'était essentiel quand même de remettre un peu les choses à leur place et de surtout montrer qu'on est équivalent aux autres éléments qui nous entourent et non pour prendre le dessus. Je trouvais ça normal et essentiel, comme tu dis, de faire la balance entre les éléments et le·la modèle. Tout ce qui compose ma photo est un outil, c’est-à-dire l'arrière-plan, la tenue, le·la modèle et les éléments autour de ce modèle.

S : En discutant avec Mélissa de cet environnement très masculin et la vision très masculine, on a tendance lorsque l’on parle des photographes et de la photographie en Guadeloupe d’avoir un peu malheureusement les mêmes schémas, les mêmes fonds et les mêmes ambiances. Par exemple : la plage. Je comprends que c'est aussi une vision mais j’ai parfois l'impression que ça manque peut-être de profondeur. C'est un peu calqué. On a toute fait un photoshoot sur la page avec nos ami.es, c'est quelque chose que l’on voit. Après, lorsque que l’on passe dans le domaine artistique...

C  : Oui et c'est un mot que je vais souvent répéter mais il faut une certaine vérité dans ce que l'on fait. Sa vérité et sa manière de voir les choses. On peut clairement faire un photoshoot avec des filles en maillot de bain sur une plage mais pour moi tant que ça ait du sens. Ou bien une histoire, une profondeur comme tu disais et une utilité.

Toutefois, c’est vrai que c’est ce qui marche. Je discutais de ça avec un de mes petits cousins qui a dix-huit ans et il me disait que lui il fait « slide » c’est-à-dire qu’il voit une image, il s’arrête, il like et voilà. Ce n’est pas une image sur laquelle il va s’arrêter et se dire...

S : Qui va le faire réfléchir. Peut-être aussi est-ce de ma faute de vouloir que l'art ait un message. Chaque art et chaque photo n'a pas besoin d’avoir un message. Pour moi, c’est vrai, il doit y en avoir un message et une certaine utilité. 

C : Pour moi aussi. Je trouve que c'est essentiel de pouvoir discuter en tout cas d'une image et de pouvoir se questionner sur ce que l'artiste a fait. On peut ne pas donner un message à sa photo directement. Enfin moi je ne donne jamais de titre à mes photos. Si une personne voit l’une de mes photos, ressent quelque chose et s'interroge, ou alors que ça lui crée des émotions. Dans l’exemple des photos de plage, vu que c'est vu et revu et fait de la même manière qu'on perd cette réflexion autour de la photo.

M : Lorsque je regarde les photographes femmes faire en effet ces photos de plage, je trouve que c'est différent. L'exécution de la photographie va prendre en compte également le·la modèle que l'environnement du modèle. Une photographe que j'adore et je pense que c'est beaucoup de l’avis de tout le monde qui est @blxckdreadshots. Ses photos sur la plage...

S : C’est la Guadeloupe. Ce n’est pas tant une femme sur la plage en maillot, elle arrive à capturer comme cette essence de la Guadeloupe. 

M : Exactement.

C : Oui, c’est le contexte.  Elle pose un contexte et elle invite aussi à la réflexion et au questionnement. C'est beau en tant qu’artiste de voir d'autres personnes partager leur émotion sur photo.

S : Je pense que c'est là où peut-être le bât blesse. Ça demande un contact avec ton émotionnalité et tes émotions. Tout personne n'est pas prête à regarder ses émotions et à vraiment exprimer ça.

M : Surtout si on est un photographe homme, avoir accès à cette bibliothèque des émotions est quasiment impossible. J’ai souvent l’impression que les photos seront toujours parfaites : il fera toujours beau, un couché de soleil…

S : Un ciel bleu.

C : Exact.

M : Il n’y a jamais rien d'imparfait dans ces photos. Les femmes qui se présentent... Et je dois dire que malgré tout je trouve qu’en Guadeloupe il y a beaucoup de « body positive » dans les photos de plages. On a toutes les tailles et toutes les couleurs de peau.

C : Pour revenir à ce que je disais, l’imperfection, c’est tout bête, donne aussi du goût.

S : Du charme.

M : Oui du charme. On se retrouve toujours à faire les mêmes photos.

S : Il y aura toujours du vent que ce soit dans les cheveux que dans le paréo.

M : Oui, c'est vrai. Ce qui est dommage parce que la·la modèle devient un simple accessoire alors que c'est vrai le·la modèle pourrait exprimer tellement plus. Puisque la photographie sera toujours la même, que le schéma ou encore le contexte sera toujours le même, ce que pourrait dire le·la modèle avec son corps se perd dans cette robotisation de la photo.

C : Bien sûr. Je pense que les photographes hommes se basent énormément sur la représentation des femmes dans les clips. On se bat aussi contre ça, contre l'idéalisation de la femme. Tout en sachant qu’une femme n'est pas forcément parfaite, on n'est pas du tout parfaite. Pourtant on lui donne cette représentation, cette image de la femme. C'est dérangeant. Une femme n'est pas parfaite et a aussi droit à ses imperfections.

S : Et ça, c'est peut-être dur pour un photographe homme d'avoir accès à cette imperfection. Je me suis demandé aussi si, parce que le public est majoritairement masculin comme le disait @Guadeloupeangirl dans son interview, il faut plaire à cette audience-là. J'imagine que le public de ces photographes masculins ce sont des hommes. Donc il faut plaire à l'audience ce qui nous enferme encore plus dans cette boîte.

C : Se dire « artiste photographe » est ne pas faire la leçon mais montrer l’exemple. On doit légèrement influencer son audience et se dire on a de l'audience, on a un impact sur notre communauté.

S : Oui mais tu sais, j'ai l'impression que certains hommes photographes vont peut-être se prévaloir d'un combat féministe : « Je photographie la femme après tout, c’est mon message ! ». Alors que non.

M : Également, si je pense à l’imperfection beaucoup de femmes ne veulent pas montrer leurs imperfections sur les photos. Beaucoup de femmes sont ravies d'avoir ces photos parfaites. Elles auront finalement une vision beaucoup plus « agréable » d'elles-mêmes. C’est vrai que les photographes montrent que toutes les femmes sont belles et peuvent être célébrées. Ce que je regrette dans cette beauté photographiée est qu’il s’agit toujours de la même chose. Mettons si je me mets à poser sur la plage, je voudrais bien que ma beauté soit dirigée vers quelque chose d’autre et pas forcément vers une pose que le photographe aurait reproduit des milliers de fois. C’est compliqué. Dans une société comme la nôtre qui nous dit que noir n’est pas beau forcément avoir accès aux poses des soi-disant « belles filles » comme les chabines et les métisses, c’est quelque chose ! Ça veut dire que tu es arrivée à ce sommet-là. Tu es arrivée sur ce podium de femmes métisses qui sont beaucoup plus présentes que les femmes indiennes, noires ou chinoises par exemple. Je trouve que la représentation des femmes métisses guide la représentation photographique et le paysage photographique dans toute cette robotisation. Par la création identique des photos, on crée une beauté...  Comment dire ? On ne change pas vraiment de la narration coloniale.

C : Non.

M : On continue de dire que les femmes métisses, chabines sont toujours belles. Qui plus est, elles sont plus présentes dans le paysage photographique que les femmes noires ou indiennes. Je voudrais voir beaucoup plus de diversité, même si elle est présente je voudrais l'avoir de façon équitable.

C : C’est vrai que l’on ne voit pas forcément des personnes foncées de peau ou des personnes indiennes, tout simplement le reste des personnes de la Guadeloupe qui reste sur le côté.

S : Par rapport au modèle, est-ce que les modèles te demandent des shootings particuliers ? Est-ce que ce sont les modèles qui te font la demande ? Ou c’est plus toi qui dirige ?

C : Souvent lorsque je fais des photoshoot, c’est moi qui vais vers le·la modèle. Je pars déjà d'un petit travail en amont où je schématise un peu ce que je veux faire, l'émotion que je voudrais apporter à la photo et après, à partir de ça je cherche un peu l'endroit et les poses. C'est vrai que j'aime bien aussi les pose un peu aériennes et légères, je dirais comme ça. C'est vrai que c'est moi qui leur demande de poser. Toutefois, avant on en discute et on échange. On essaye de sociabiliser d'abord avant de faire un photoshoot pour essayer de se mettre en confiance.

S : Peut-être que ça vient aussi de la part des femmes de vouloir recréer ce qu'elles ont vu. Pour moi, c'est ça qui est beau. C'est ça que je veux. Une femme en paréo maquillée sur la plage. Bon... Il y a beaucoup plus beau. Je ne sais pas. Une table de camping avec une nappe et les grosses marmites, c’est beau. Ça fait appel à notre enfance. Ça fait travailler notre imaginaire et pour nous c'est beau. Ça rappelle le bonheur. Ça rappelle la joie, et cetera.

C : C’est vrai. Je pense que les personnes qui veulent faire des photos choisissent aussi leurs photographes. Par exemple les gens qui me suivent et qui discutent avec moi sont souvent des personnes qui s’intéressent un minimum à l’art.

M : Je ne dirais pas que les modèles ont une part de responsabilité. Je trouve que c'est peu fort comme mot. C’est vrai, elles ont le choix du photographe. Ce qui me dérange c’est l’idée que seuls « ces » poses leur rendront honneur. « Ces poses » te permettront une certaine validité de ta personne, de ta beauté et puis choisir ce photographe aussi, ça te permet d'avoir cette popularité recherché et un certain rayonnement. Le photographe pourrait faire un magnifique travail tout en réinventant quelque chose qui correspond à la personne. Je dirais que c’est le manque d'individualité que l’on retrouve dans ces photos.

S : Moi, c'est vrai que je ne me souviens pas nécessairement des modèles. La femme prise en photo ne me marque pas alors que les femmes des photographes comme @Blxckdreadshot, comme toi ou @isaiabliss ça me marque beaucoup plus. Tu vois l’histoire. Tu vois la personne. J'ai l'impression que pour ces photos de plage, j'avoue que je me concentre plus sur savoir quelle plage c’est ou quel paréo.

M : Oui, moi aussi.

S : Le photographe n'a pas fait ça pour faire de la pub à la plage.

C : Je pense que les femmes artistes ont une facilité à exprimer leurs sensibilités par rapport aux choses. Je trouve ça dommage. C'est un terme que je déteste associer à la féminité. C’est totalement faux. Les hommes aussi sont très sensibles. Pourtant c’est vrai qu’ils ne montrent pas ça. Ils se calquent sur des schémas déjà très préconstruits et que l’on voit très souvent sur les réseaux. C'est bien dommage puisqu’il y a des hommes photographes avec qui je discute très bien de sensibilité, d'émotions et de plus-value d'image. Ils n'arrivent pas oui ils n'osent pas le ressentir.

S : À le transmettre. Une femme lorsqu’elle veut être artiste, elle devra travailler deux fois plus pour avoir la moitié de ce que les autres ont. Elles pensent son travail beaucoup plus. Elles vont chercher à savoir « Qu’est-ce que ça veut dire et pourquoi ? ». Elles se posent beaucoup plus de questions à cause de cette pression. Ce qui donne un travail, au final, plus profond. Il y a tout de même du négatif et du positif. Positif parce que tu vas avoir un travail plus profond. Négatif parce que tu vas te mettre une pression énorme pour que ton travail soit bien ou beau.

C : Ça ne me dérange pas forcément de réfléchir beaucoup plus, de penser plus mes projets. C’est quelque chose que d’ailleurs j’aime. C’est vrai que l’on doit effectuer un travail supplémentaire au niveau de la recherche et que l’on doit se justifier et justifier notre présence en fournissant un travail un plus abouti. Ça peut être une part de bien.

M : Oui comme on le disait l’accès est plus facile pour les hommes se disant être photographe que pour les femmes. J’ai l’impression qu’un homme peut se déclarer être photographe après avoir fait deux photo shooting. Beaucoup d’hommes prennent des photos pour les magazines, pour des défilés ou pour les boîtes de nuit. C'est vraiment les trois domaines dans lesquels on les retrouve beaucoup : Défilé, boîte de nuit et magazine. Un jour, il sera que l’on a dit son nom mais je pense par exemple à Ydnar Photo. Il a été pour moi le premier dont j'ai eu vent parce qu'il était toujours présent dans ces domaines. Il était vraiment partout. Les hommes ont d’une part c'est facilité d'accès au domaine de la photographie et ont d’autre part la possibilité d'être très versatiles. J’ai l‘impression aussi qu’on ne les retrouve pas vraiment dans l'art. Dans le sens où ils n'ont pas besoin...

S : Ce n'est pas nécessairement artistique. C'est bien comme tu disais comme Clarysse.

M : Non. Les hommes n’ont pas de besoin de validation. Non que j’ai envie de minimiser leur travail, pas du tout. Ce que je veux dire c'est qu’on les retrouve dans des domaines très classiques parce que j’ai l’impression qu’ils n’ont pas besoin de cette validation artistique pour se dire photographe.

C : C’est vrai. Ce sont des photographes qui ont des contrats et qui font ce qu'on leur demande. Les photographies faites en boîte de nuit ou pour les magazines où on photographie pratiquement que des femmes avec des poses un peu...

S : Suggestives ?

C : Oui. Mais ils répondent vraiment à ce qu'on leur demande.

S : Tu disais justement que tu faisais plusieurs formes d'arts. Dirais-tu que tu as une facilité de passer d’un support à un autre ? Ou bien ça demande un travail supplémentaire ? Est-ce que tu dois changer de réflexion par exemple ?

C : Ma ligne directive est encore d'exprimer ce que je ressens c’est-à-dire ma vérité des choses. C’est essentiel pour moi de changer de support et de médium puisqu’à un moment donné je commence un peu à m'ennuyer et à tourner en rond. Toutefois, c’est vrai que j’ai toujours la même réflexion :  Qu'est-ce que je pourrais apporter à cette manière de faire ? Par exemple : si je fais du moulage, qu'est-ce que je pourrais apporter à cette manière de faire du moulage pour que ça dégage des émotions chez quelqu'un. Je trouve que c'est essentiel à l'art. C’est de pouvoir faire les gens se questionner, réfléchir et cogiter un peu.

S : J’ai l’impression qu'ici, la photographie n'est pas nécessairement vue comme de l’art. Plus on en parle, plus je comprends que la photographie ici...

M : J’ai aussi ce petit déclic.

S : C’est un moyen d’être populaire et d’être cool.

C : C’est vrai.

S : On oublie peut-être ou on omet cette notion artistique. Tu connaitras un·e sculpteur·trice ou un·e peintre connu par exemple mais un·e photographe ?

C : Je me suis fait souvent cette remarque de dire que la photographie répond un peu aux attentes narcissiques des personnes. Les gens ont besoin de toi pour faire des photos sympas parce que tu as un bon appareil et t'auras une meilleure qualité, et cetera. C’est finalement pour assouvir ce côté narcissique.

S : On peut également pointer du doigt le fait que le photographe a plus facilement accès à des femmes. De ce que j’ai entendu dire, n'est-ce pas ? Ça lui permet de rencontrer des femmes. En Guadeloupe, c'est le Saint-Graal...

C : Oui.

S : D'avoir plusieurs femmes. Il y a cet aspect aussi dans la photographie qui est assez commune.

M : Ça n’a rien à voir mais je pense à la photographe Adeline Rapon. Elle reproduit des photos de femmes Antillaises. C’est incroyable ! En voyant ça je me suis dit que je n'avais jamais vu un concept pareil ! C’est encore une femme qui fait ce genre de concept. .

C : Les hommes photographes ont déjà leur « fanbase » des personnes qui les suivent et aiment leur travail. Ça représente une certaine facilité. Je pense qu'ils ont aussi un peu peur du changement pour ne pas aussi perdre cette communauté. Je ne dirais pas que pour les femmes, nous n’avons rien à perdre, je pense que l’on voit simplement les choses autrement et que l’on veut faire autre chose. On n’aura jamais la même communauté que les photographes hommes. Ça c'est clair. Si on sait que l’on n’aura pas l’équivalent de cette communauté  autant faire ce que l’on veut faire.

S : Peut-être que ça va changer. Il y a du potentiel pour changer ça particulièrement dans notre génération. Maintenant, je pense, que l’on est beaucoup plus conscient de l'impact de nos voix et on sait que ne pas supporter quelqu'un ou supporter quelqu'un ça a un impact. On est beaucoup moins enclin·e à juste suivre le photographe populaire de l'île juste parce qu'il est présent. On est aussi plus enclin·e  à chercher le message c’est-à-dire de voir lorsque c’est plat parce que c’est du et du revu. Je veux dire depuis le collège et au travers des médias sociaux, les femmes artistes ont plus de visibilité comme Blxckdreadshot, toi ou Adeline Rapon et toutes ces femmes. Ça nous fait penser.

C : Je trouve que l’on est là. Il y aura qui viendront par la suite pour faire de la photo artistique mais il y aura toujours d’autres qui voudront faire photos pour se mettre en valeur.

S : Je pense qu’il ne faut pas juste que l’on reste dans l’un ou dans l’autre. Il faut que l’on élargisse la vision artistique. Faire les photos que l’on veut. On en a parlé dans l’épisode neuf, le choix est le tien. Il faut juste élargir cette poule d'artistes et la vision artistique. Ne pas se dire qu'il y a qu’une seule façon de faire des photos ou qu'il y a qu’une seule façon de les exécuter ou bien qu’il y a qu’un seul endroit et schéma. Faire de la place.

C : Oui et peut-être que l’art fait peur. C'est vrai que l’on ne pose pas de la même manière, que l’on n’a pas la même vision des choses ou que l’on va peut-être prendre plus du temps ou encore recommencer.

S : Ça revient à ce que je disais il y a quelques épisodes, j'ai l'impression que l’on n'est pas trop entraîné·e à être des artistes. Pourtant, je trouve que l’on est super artistique. Je trouve que l’on est en tant qu’Antillais·e ou du moins on dirait que c’est inhérent chez nous d'être artiste. Regarde ta maison, tu as des couleurs. Il y a forcément quelqu’un de ta famille qui est artiste. Moi c'est ma mère. Nos toits par exemple dans les lotissements, tu auras des toits de toutes les couleurs. On a tout de même cette fibre artistique pourtant on ne l’entraîne pas. Je pense aussi que la photo peut être vu comme un art très plat ou du moins très lisse.

C : Ça fait peur et ça demande un peu trop d'investissements. Il faut aussi se cultiver et s'intéresser à beaucoup de choses et de domaines. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes qui choisissent un peu la facilité.

S : Et vouloir se mettre à nu. Ça demande un peu de vouloir se mettre à nu. Les pièces de ma mère par exemple, elle peint, sculpte et faire de la gravure. Elle utilise plusieurs supports comme toi et ça demande quelque chose de très intime. Ma mère a une pièce remplie de tableaux. Pourtant elle n’a pas nécessairement fait des milliers d’expositions. Là, je regarde à droite et à gauche, je vois des sculptures en veux-tu en voilà. Ce n’est pas nécessairement dans un effort pour être reconnue, pour être vue ou pour faire de l'argent. Elle te dira « Je ne fais pas ça pour l'argent, je le fais pour moi. ». Ça demande de mettre son ego à la porte pour se mettre à nu en face de la toile, de l'argile, et cetera. C’est quelque chose de difficile pour nous en tant que Antillais·e. C’est quelque chose de difficile pour les hommes en général. Je ne pense pas que ce soit nécessairement difficile pour les femmes. Les femmes ont peut-être une facilité à le faire. À le montrer au monde est peut-être plus compliqué. C'est-à-dire que tu vas être en face de ta toile et tu vas t'exprimer et tu vas le faire. Tu vas te mettre à nu entre guillemets. Tu vas faire cette sculpture. Pourtant, tu ne vas pas nécessairement faire d'exposition ou avoir un compte instagram parce que tu te diras « Je le fais pour moi. ».

C : C'est vrai. Mine de rien, les femmes que je vois sur les réseaux sociaux dans le domaine artistique, je trouve qu'elles se montrent et qu'elles partagent beaucoup plus leur ressenti face à leur art. Elles se dévoilent et se mettent à nues.  Je trouve ça bien. Je pense cependant que c'est vraiment quelque chose de très difficile et de très puissant qui demande un vrai investissement. De se dire aussi que l’on s’affiche comme ça et que l’on n’est pas maître aussi de ce que les autres vont penser.

S : C’est vrai.

C : C'est un peu effrayant tout ça.

M : En pensant à la photo, je souhaiterais connaitre une autre facette du modèle puisque comme dit Solène, on les voit un jour puis on les oublie. Pourtant en pensant au modèle qu'utilise Blxckdreadshot souvent qui est Kékécoulé. Je me rappelle d’elle. Je pense que dans le travail des femmes photographes et des femmes qui sont dans l'art visuel et graphique, c'est de faire en sorte que l’on n'oublie pas ces femmes et ces visages. Elles racontent une histoire forte et s'imprègnent en nous. C'est ce qui manque chez beaucoup d'hommes photographes. On l’aura dit plusieurs fois dans l’épisode la création d'une beauté unique en mettant de côté ces femmes qui ne rentreront jamais dans ces cases. J’ai besoin de représentations diverses. C'est vraiment incroyable de montrer toutes les tailles, toutes les types de peau mais ne les harmonisez pas et ne les uniformisez pas. Rendez l’individualité.

C : Je trouve qu’en tant photographe et surtout en tant qu'artiste, c'est essentiel de montrer aussi qui est son·sa modèle afin d'apporter à sa photo un peu l'histoire du modèle. Ne pas la dénaturer.

S : Ça demande de pouvoir connaître le modèle et ça demande aussi de pouvoir être capable de créer un lien avec une personne de l'autre sexe quel que soit le sexe du photographe. Ce n’est pas nécessairement une qualité que tout le monde a. Ça demande de pouvoir parler, de pouvoir mettre la personne à l'aise, de pouvoir faire vouloir la personne de te montrer une autre facette d’elle-même.

C : C’est essentiel. Si on n'y arrive pas dès le début, ça ne sert un peu à rien. Comme je disais, moi je prends le temps de discuter avec les modèles, savoir plus ce qu'elles font dans la vie ou que ce qu'ils font dans la vie. Il faut créer un certain lien et pour réussir à orienter le·la modèle afin de créer quelque chose.

S : Par exemple à l’instant je viens de scroller rapidement sur un photographe de Guadeloupe et ça m'a fait penser au fait que pour une femme c'est facile de poser entre guillemets. Il y avait beaucoup de photos en lingerie. Je trouve que ça ne demande pas beaucoup de directions si elle est à l'aise. Je veux dire que nous, on l'a fait. Ça ne demande pas beaucoup de directions, à part si le photographe veut vraiment faire passer un message. Hormis ça, tu peux simplement avoir ta caméra et demander à la femme de s’exprimer.

C : Voilà.

S : D’exprimer son corps. C’est quelque chose que l’on peut faire. Mettons tu prends cinquante photos, il y aura forcément une de bonne du modèle. J'avais une question pour toi, qu'elle serait tes conseils pour les femmes et pour les femmes artistes ?

C : Je dirais ne pas vouloir faire un peu comme tout le monde, ne pas suivre la mouvance et ce qui fonctionne. Mais de toujours rester fidèle à soi-même parce qu'en même temps une œuvre copiée ce n’est jamais toi. Il vaut mieux faire quelque chose de vrai et même si ça ne plait pas, ce n’est pas grave. Ce sera vraiment toi. Ne pas lâcher et entre femmes on se soutient.

S : Osez !

C : Osez s’exprimer. Même si on n’est pas au même niveau que les hommes pour certaines missions ce n’est pas grave. On sera toujours là et vu qu'on devra travailler deux fois plus, je pense qu'un jour ou un autre, on aura énormément d'impact. On commence déjà. Continuez et ne rien lâcher rien. On fait vraiment un travail formidable que l'on n'a jamais encore vu d'ailleurs donc ça c’est bien. On est ensemble.

S : Oui ensemb-ensemb. Je pense que pour les femmes il faut que l’on « avale » le fait que notre perception soit nécessaire. Elle est unique et a de la valeur. Je n'aime pas trop rapprocher valeur et femme, ça me fait penser à ma mère... En tout cas, je trouve en toute objectivité que ce que ma mère fait c'est magnifique, mais elle ne le voit pas pour elle. Elle ne reconnaît pas l'impact que son art peut avoir parce que ça fait partie de sa vie, de son émtionnalité et toutes ces choses qu'elle n’exprime pas nécessairement à haute voix. Tout ça, elle le met dans son art. Ça a une valeur, un impact. Ça vaut quelque chose. Il ne faut pas hésiter en tant que femme. Je sais que l’on est socialisé de sorte que ce que l’on dit et ce que l’on pense n’est pas vu comme étant important. C’est faux. C’est ta perception des choses. 

C : C’est vrai. C'est aussi vrai que toutes nos discriminations et tout ce que l’on a subi nous apporte une certaine plus-value aussi.

S : On peut guérir par l’art.

M : C'est vrai. Très important.

S : L’art peut être un véhicule de guérison interne. Ne pas hésiter à créer des photos, moulages, coloriages et cetera.

C : Osez être là où on ne nous attend pas aussi c’est-à-dire dans la vidéo, dans la réalisation multiple, et cetera. Ce sera toujours différent. Je trouve que même sans savoir qui aura fait ça, on saura qu’il y aura peut-être une histoire…

S : Une sensibilité particulière. Osez partager également. Ne pas simplement dire que tu le fais pour toi. Montre ce que tu fais. Partage-le sur les réseaux. Partage-le avec ton entourage. Je pense que c'est nécessaire. Il faut plus de femmes artistes. Je pense qu'il y a beaucoup de femmes artistes mais elles ne le partagent pas. C’est là où le bât blesse pour nous. C’est mon cas. Je fais de la photo depuis que je sais c’est quoi un appareil photo. Pour autant, je n’ai jamais partagé ce que je fais. Ça a été pour moi un véhicule de guérison, entre guillemets. Lorsque j'étais à l'étranger et que ça n’allait pas, j’avais la photo. Faire mes études, ne plus en pouvoir, trois heures du matin en train de réviser, je prenais mon appareil photo les journées où ça allait mal. Mais je ne partageais pas. J’incite toutes les femmes à oser et à partager leur forme d’art.

C : La finalité ce serait de partager mais de le faire dans un premier temps. C’est un bon début de se lancer et de se dire qu’on est capable. Osez le faire puis osez le partager. Arrêter de trop réfléchir comme on le fait et se lancer tout simplement. Ce n’est pas si grave.

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