Qui sont les enfants né·es du BUMIDOM ?

 
BUMIDOM : Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer
 

Avant-propos : En compagnie de Sandrine, nous discutons diaspora, de la nostalgie qui s’installe et du rejet contre le terme négropolitain·e.

 

Mélissa : Je cite : « Personne ne se revendique négropolitain. C'est un terme négatif et violent pour nous, enfants d'exilé·es qui n'avons pas choisi de naître loin du pays. On porte des vécus dans nos chairs qui ajoutent encore aux traumas que nous partageons avec celles et ceux resté·es de l'autre côté. Rèspé ba toutmoun la Caraïbe mèsi [1]. ». Bonjour Sandrine, comment vas-tu ?

Sandrine : Bonjour Mélissa, je vais très bien.

M : Alors la citation que je viens tout juste de citer, elle est de toi Sandrine, plus exactement de ta réaction à l'épisode du BUMIDOM de la première saison du podcast. J'ai beaucoup apprécié ton retour. Je pouvais sentir toute ta frustration, ta colère aussi pour ce terme dépréciatif qu’est le négropolitain·e [2] né l'exil de nos compatriotes. Nous avons eu l'opportunité d'échanger à ce propos mais la conversation devait continuer. Je suis très heureuse de t'avoir aujourd'hui pour en parler. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, Sandrine dis-moi, qui es-tu ?

S : Mélissa, avant de me présenter, je voulais vraiment te remercier pour ouvrir cette conversation entre une antillaise en France, une enfant d'exilé·es, tout ce que tu veux mais négropolitaine certainement pas, et puis une antillaise qui a vécu là-bas. Alors moi, si je devais me présenter, je me présenterai comme une femme martiniquaise, caribéenne et ensuite noire. Au niveau de ma proximité idéologique, on va dire, je serais plus proche du féminisme décolonial que du Black Feminism [3]. Si tu m'avais interrogé il y a quelques temps, j'aurais dit d'abord afroféministe. Je pense que j'ai définitivement tourné la page de cette mouvance-là qui pour moi est bien trop afrocentrée. Ça ne me correspond pas du tout et peut-être qu'on aura l'occasion d'en reparler sur le fait que ça dépeint une critique pas toujours très positive sur la manière dont nous, on peut se concevoir en tant qu’antillais·e et comment on peut concevoir le mouvement de lutte.

M : On pourra en effet en reparler. Mais avant cela, je voudrais savoir, ma première question finalement, pourquoi ou quelle est la raison pour laquelle tes parents ont quitté leur île natale ?

S : Comme je te le disais, pour la préparation de l'émission, je n’avais jamais vraiment parlé de front avec mes parents sur les raisons de leur venue en France parce que c'est un sujet qui est délicat et qui est douloureux aussi pour elleux.

Je voudrais par ailleurs souligner par rapport à nos parents c'est que ce sont des vies marquées par l’absence. C'est vivre dans l'absence des autres. L'absence de leurs parents, de leurs frères et sœurs toute la vie qu’illes passent ici. Mes parents ont eu la chance contrairement à d'autres de pouvoir repartir à la retraite en Martinique. Désormais pour elleux, c'est vivre aussi dans une autre absence qui est celle de leurs enfants, de nous-mêmes.

Actuellement, ce sont des communications qui vont passer par téléphone, par messagerie instantanée et avec le confinement le fait que je ne puisse même pas bouger, prendre un billet pour aller les voir c’est dur.

Si je devais un peu résumer les choses, pour revenir à ta question sur les raisons de leur venue en France, j'ai posé la question à ma maman avec qui j'ai une discussion assez émouvante que je n'avais jamais eue. J'ai 44 ans, je précise. Elle m'a expliqué très rapidement avoir eu connaissance d'un concours administratif pour partir en France afin de travailler dans l’administration française pendant des cours du soir qu'elle suivait pour accéder à un meilleur emploi que l’emploi étudiant qu'elle avait. Elle travaillait dans un magasin. Elle a donc connaissance de ces concours. Elle les passe mais n’a pas de nouvelles de ces résultats avant une année et demie. Elle continue sa vie, elle grandit, elle s'occupe de ses tout-petits frères. Puis un an et demi après, elle reçoit un courrier qui lui dit : « Vous êtes reçue et vous intégrez l'administration sous un mois et demi. » c'est-à-dire vous partez en France, vous quittez tout ce que vous avez connu pour venir travailler dans telle direction du ministère de l'emploi. Elle a réussi à négocier un mois de plus. Si je comprends bien, le temps de préparer sa nouvelle vie et surtout de quitter ses petits frères dont elle m'a beaucoup parlé qui ont une douzaine voire quinzaine d'années moins qu'elle dont elle s'est beaucoup occupée et auxquels elle très attachée. Et aussi pour faire le grand saut, on va dire, et partir là-bas.

Pour mon papa, c'est moins clair. Je sais qu'une fois on avait un peu parlé du BUMIDOM et il m'avait dit très de façon très énervée : « Mwen pa moun bumidom, mwen pa moun bumidom. [4] ». Je ne sais pas si c'est parce qu'il a intégré différemment un concours de la fonction publique mais j'ai l'impression que c'est tout de même assez compliqué. Je pense que c'est plutôt du rejet de ce qu'était pour lui le BUMIDOM. C’était aussi un système qui a été violent et dont les gens étaient conscient·es. Illes étaient conscient·es de la violence de ce programme lorsqu’illes sont arrivé·es ici. En tout cas très rapidement les antillais·es qui sont parti·es se sont rendu·es compte de l'ampleur de ce dispositif et de ce qui recélait en termes idéologiques, politiques et cetera. Je voudrais aussi souligner le fait qu'il n’y a pas eu de passivité de nos parents. Il n’y a pas eu un aveuglement par rapport à ce qui se passait. Je le dis parce que j'entends des fois de la bouche et certains activistes récent·es de la sociologie un peu saucisson, je dirais, que les antillais·es parti·es en France avec le BUMIDOM ne pouvaient pas se mobiliser et rejoindre la lutte parce qu'illes étaient occupé·es à survivre. Je trouve ça d'une désinvolture et pas très empathique. C'est faux. Il y avait tout un mouvement militant qui a essayé de s'organiser tant bien que mal en France avec des connexions qui étaient difficiles à établir dans les années 80 entre les Antilles et la France. Je rappelle que, moi, mes parents m'ont raconté que les premiers coups de fil qu’illes passaient dans les années 70 ou au début des années 70, puisque mes parents ont dû arriver vers 73 ou 74, je ne pourrais pas le dire précisément, il fallait d'abord écrire sur papier tout ce qu'on devait aborder comme sujet avec la famille. Les communications téléphoniques coûtaient une blinde. Je ne sais pas si on peut aussi se remettre en perspective un petit peu. Quelle était la vie ici et comment on pouvait être relié·e aux autres là-bas ? Il y a comme ça des analyses faites à la louche qui ne sont pas très fines et qu'il faudra un petit peu davantage creuser. Donc mon papa, après cette digression, passe son concours et pareil lorsqu’il reçoit les résultats, on lui donne quelques semaines pour rejoindre la France. Je crois moins d'un mois pour partir en France. Il l'annonce comme ça à mon grand-père : « Écoute dans quelques semaines, dans quelques jours, je dois partir parce que j'ai réussi mon concours. ». La façon dont mon père le raconte, il ne m'a pas parlé de la réaction de mon grand-père mais dans la manière dont s'est posée, on sent l'émotion qu’il y a eu pour mon grand-père qui reçoit cette nouvelle et encore plus pour ma grand-mère. La manière dont mon père le pose, je comprends que c'est un déchirement.

Par la suite mes parents se rencontrent. Je suis née ici et j'ai vécu en France toute ma vie. C'est ce que j'ai oublié peut-être de dire dans ma présentation.

M : Pour reprendre ce que tu disais : en moins d'un mois tes parents devaient préparer leurs bagages, préparer leurs valises, dire adieu à leur ile. On sait qu'il était très difficile pour les personnes qui partaient pour la France afin de trouver des emplois, de revenir. Et ce notamment puisque les emplois qu'illes trouvaient étaient pour la plupart précaires. Il s’agissait des emplois boudés par les français·es. Je précise ,ici, boudé par les français·es blanc·hes. Il y avait recours à une main-d'œuvre peu chère, flexible et aussi malléable. Encore une fois et j'aime toujours bien le rappeler, il s’agissait du recyclage de colonisé·es. Malgré le fait que l’on était devenu département et que la guerre d'Algérie était également passée il y avait toujours eu recours à cette main-d'œuvre venant des anciennes colonies françaises pour assurer les emplois précaires, qui ne payaient pas suffisamment pour permettre à des personnes et à qui on assurait que ce serait l'eldorado, de rentrer chez elle par la suite.

Je rebondis sur ce que tu as pu dire sur les mouvements anticoloniaux, décoloniaux et indépendantistes, on oublie qu'il y a eu tout un réseau mis en place que ce soit par les étudiant·es, que ce soit par les travailleurs·euses pour organiser depuis la France l'indépendance et la décolonisation des Antilles françaises. Petit aparté avant de reprendre le fil de mes questions. C’est vrai que l’on oublie aussi tout le système colonial et gouvernemental qu'il y a eu derrière le BUMIDOM, puisqu'il s'agissait finalement d'un déplacement de la population jeune qui avait des opinions et qui se réclamait indépendantiste. Ce n'est pas anodin que l’on déplace des personnes âgé·es entre 16 ans et 30 ans. Si je me rappelle bien, on déclarait que les personnes de 40 ans étaient beaucoup trop vieilles. Il y avait donc un véritablement système de déplacement de la population jeune pour finalement vider les îles. La première raison nous assurait que les Antilles et les DOM-TOM étaient surpeuplés ce que l’on sait est faux désormais. La deuxième raison et selon moi la principale était pour décourager les luttes indépendantistes et décoloniales. Et la troisième raison, donner à la France des nouvelles mains d'œuvre encore une fois peu chère, flexible et malléable. Les statistiques nous l’ont prouvé. Je comprends le ressentiment de ton père. Dire que tu es parti·e avec le BUMDOM c'est aussi et peut-être mettre l'accent sur le fait que tu as participé de façon active ou passive, mais que tu as tout de même participé à cette organisation gouvernementale que je qualifierais de criminel.

S : Oui tu as raison de prononcer le mot criminel. Il faut rappeler les parcours dans l'addiction d'une partie de nos parents, de la prostitution et de suicides. Je parlais de l'addiction et l'alcoolisation, tout ce qui fait qu’il faut vivre dans ce pays. Ça me rappelle enfin une très belle chanson d'un groupe antillais Super Combo « Moin domi dewo ». La chanson est sortie dans les années 80 et explique la vie en France. C'est une chanson qui est hyper émouvante tout en créole. Le groupe explique le rapport à la question du froid mais aussi à la question des relations avec les blanc·hes métropolitain·es qui sont totalement décalé·es par rapport à ce que c'est la socialité et la sociabilité dans les îles. Mon père me racontait, par exemple, que dans les années 70, il va à la boulangerie et il lui manque quelques centimes pour payer une baguette. Là où ça aurait pu se régler et ce qui se fait dans certaines boulangeries d'ailleurs encore maintenant : « Revenez et vous paierez les 3ct qui vous manquent. ». Non, la boulangère reprend la baguette en lui disant : « Non, je ne peux pas vous la vendre, vous n’avez pas l'argent. ». C’est très anecdotique, ce n’est rien mais je me dis que lorsque l’on passe de la vie là-bas aux relations ici c'est quelque chose d’extrêmement violent. Puis combiné avec le racisme, les stéréotypes et cetera.

Lorsque tu parlais d'emplois précaire, je voudrais préciser que mes parents ont eu la chance elleux, d'intégrer la fonction publique. Je te rejoins après sur le fait que personne ne voulait travailler en fonction publique. À la montée de la crise au tournant des années 2000/2005, tout le monde a voulu devenir fonctionnaire. Mais avant, personne ne voulait le faire. Les fonctionnaires étaient des emplois de planqué·es inintéressants et de gens à très faible qualification. Tout de même mes parents ont eu la chance d'avoir la sécurité de l'emploi en intégrant ces concours.

Et ce que tu disais aussi sur la question du recyclage de colonisé·es, on aura peut-être l'occasion d'en discuter, mais pour moi ça renvoie clairement aux travailleurs·euses engagé·es indien·nes. Ma mère est indienne indodescendante. À l’époque on cherchait dans les comptoirs français du subcontinent indien une nouvelle main d’œuvre pour remplacer des esclaves libéré·es après l’abolition de l’esclavage en 1848 et qui ne souhaitaient plus retourner dans les plantations de cannes. Le BUMIDOM pour moi c’est vraiment la continuité de tout ça. La continuité d’abord avec les massacres des natifs·natives des îles qui n’ont pas voulu se soumettre au système esclavagiste, la traite, l’esclavage, l’engagisme et ensuite le BUMIDOM. C’est pour cela que lorsque l’on parle de décolonialisme et indépendantisme , il ne faut pas oublier nos parents et il ne faut pas nous oublier d'une certaine manière. On n’est que le produit de cette logique suprémaciste colonialiste et impérialiste qui ne fait que se répéter en 2021 pour une histoire qui a commencé au 17e voire au 15e. Je pense qu'il faut prendre du recul par rapport à ça.

Puis un dernier point sur ce que tu disais sur le retour qui était compliqué à l'époque. On parle beaucoup des congés bonifiés et lorsque l’on parle de congés bonifiés dans l'administration, on pense tout de suite aux antillais·es qui rentraient en vacances et j'ai horreur de ça. Moi, mes parents ne rentraient pas en vacances et je ne rentrais pas en vacances tous les 3 ans aux Antilles. Je n’étais pas vacancière, je retournais dans ma famille. Ça c’est aussi une adresse à la fois aux blanc·hes de France et aux antillais·es des îles. Je ne suis ni négropolitaine ni vacancière lorsque je rentrais en congé bonifié. J'allais voir ma famille. Si je dois faire le compte des fois où j'ai vu mes grands-parents jeunes, j'ai dû les voir 10 fois dans ma vie. Je pense que ma grand-mère, j'ai dû la voir une douzaine, une quinzaine de fois. Ça n’empêche pas que je l’aimais à mort et qu'elle m’aimait à la folie. Malheureusement cette relation elle est aussi modelée par le fait que rentrer aux Antilles, n’était pas si simple que ça sachant que les congés bonifiés au tout début et c'est une amie qui me l'a réexpliqué, était d'abord réservé aux blanc·hes métropolitain·es qui vivaient aux Antilles. C'est-à-dire que même les antillais·es issus du programme BUMIDOM devaient prendre en charge elleux-mêmes le billet d’avion qui coûtait je-ne-sais-pas combien.

M : Lorsque tu parles d’une construction relationnelle avec ton île et avec ta famille, que tu ne rentrais pas en vacances mais que tu rentrais chez toi, je me demande à quoi pouvait ressembler ton enfance ? À quoi pouvait ressembler finalement le foyer qu’avait pu construire tes parents en France ? Après tout, tes parents ont eu un mois pour faire leurs bagages et partir. Illes ont construit et créé une nouvelle vie en en France. Illes ont construit un foyer où illes ont donné naissance à des enfants. En quittant un endroit comment poursuit-on la continuité relationnelle, sentimentale, émotionnelle que l’on a avec son territoire d’origine ? Ça me fait penser et je l'ai dit dans l'introduction à la nostalgie qui s'installe. J’ai l'impression qu'avant l'heure en étant enfant d’immigré·es, on vit avec la nostalgie de nos parents d’un île ou d'un lieu que l’on n'a pas encore connu mais qui pourtant avec les souvenirs, les histoires, la nourriture, la musique finalement tout le bain culturel, fait comprendre que cet endroit est aussi le nôtre. Les enfants ont beau ne pas y être allé·e physiquement, illes comprennent d'ores-et-déjà que c'est leur terre et que c’est leur lieu d’appartenance.

S : Mon enfance ou plutôt le rapport à mes parents et puis la vie dans le foyer, elle a été très martiniquaise et très antillaise. Alors c'est compliqué pour moi de t'expliquer et d'expliquer en quoi parce que c'est tellement évident pour moi. De faire la part des choses, c'est un peu compliqué. S'il faut parler de la vie enfin de la manière dont j'étais éduquée et comment j'ai grandi, c'est un peu compliqué de prendre du recul et de déconstruire les choses de façon très factuelle parce que c'est tellement naturel. Ce n’est pas évident mais je vais essayer de faire l'exercice. La vie à la maison, c'était un mode de vie très antillais dans la mesure où l’on mangeait antillais et on écoutait tout le temps de la musique antillaise. Mes parents dans les dix premières années de ma vie avaient un cercle d'ami·es comme elleux de jeunes antillais·es et jeunes parents issu·es aussi de ce déplacement-là. Ça permettait de recréer un vrai mode de vie antillais. Par exemple, j’en parlais avec maman l'autre fois. Tous les étés, illes louaient un espèce de champ avec une grange dans le 77 ou dans l’Ain, je ne sais plus trop. En tout cas c’était une banlieue parisienne où il y avait des champs pour recréer la tradition du pique-nique en bord de plage. Alors certes, il n’y avait pas la plage mais c’était un pique-nique antillais avec des plats antillais en compagnie de leurs ami·es et de leurs enfants. Pour moi c’était les meilleurs souvenirs je crois de mon enfance que ces moments. Je ne sais pas pourquoi, pour moi, c'était typiquement les moments que mes parents créaient et donc des moments typiquement martiniquais. Ma mère me disait qu’effectivement c'était aussi une façon pour elleux de se retrouver entre ami·es antillais·es un peu éloigné·es pour vivre un moment comme ce qu’on vivait là-bas.

Alors c'est un peu un anecdotique, peut-être un peu ridicule, mais il y avait aussi ce grand moment qu’est la foire de Paris et qui était une institution pour mes parents que d'aller à la foire de Paris pour aller au stand antillais. Pour rencontrer des antillais·es avec un gros accent qui parlaient un gros créole qui te vendaient des plats. Les mêmes plats que l’on mangeait chez nous mais c'était dans un contexte public, blanc. Il y avait cette petite enclave avec les deux, trois stands de la Martinique, de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Guyane avec les odeurs, la musique à fond... C'était génial et pour nous c’était toujours une institution. Je crois que j’ai arrêté de le faire il y a quelques années mais oui ! Il ne fallait pas rater la foire de Paris pour aller au stand antillais et manger de la glace au coco. J'étais tellement à fond que je pensais que la glace au coco avait été fabriquée là-bas et avait pris l'avion.

Puis aussi mes parents essayaient beaucoup de nous acheter des livres lorsqu’illes en avaient accès en langue créole. D’ailleurs, je les ai récupéré lorsqu’illes ont dû déménager. Illes nous ont acheté deux manuels scolaires écrits en créole qui s'appelle « Tim tim bois sec » je crois. C’était censée être utilisée par des enfants là-bas pour apprendre à lire. Et mon père a trouvé ces livres je-ne-sais-plus où. Peut-être à la librairie Présence Africaine ou quoi ou qu’est-ce ou à une des foires. En tout cas, j'ai ces livres qui me racontent les histoires de compère Lapin et de tous ses camarades en créole et je les garde. Ma mère m’avait acheté le livre « Conte et légendes des Antilles » mais qui est très doudouiste [5]. Ce livre a fait des ravages. Je n’ai plus la référence en tête. Celui-là je ne l'ai pas gardé. Pour la plupart ces livres étaient des bonbons pour moi. J'adorais lire et c'était des bouquins que je lisais, relisais et je connaissais par cœur. Ça me permettait de me retrouver aux Antilles, dans ma culture.

M : Et comment ça se passait à l’extérieur de ta famille et de la communauté Antillaise ? C’était comment lorsque tu étais à l’école par exemple ?

S : Je me souviens d'un épisode bien particulier. J'étais au CP, c'était au début des années 80 et je me souviens encore de ces deux dames qui avaient l'âge de ma maman ou de mes tantes donc une petite trentaine d'années. Elles passent dans notre classe de CP et regardent la classe. Je me souviens qu’elles nous ont regardé nous les petit·es antillais·es en particulier avant de s'adresser à la maîtresse pour lui parler de cours de créole. Elles ont eu une conversation, je crois en disant : « On voit que vous avez des petit·es élèves d’origine antillaise. Nous, on est une association qui proposons des cours de créoles. ». Ça a duré peut-être 10 min. J’ai bien perçu que la maîtresse les laissait parler mais que bon, c'était par obligation. Et puis ces dames repartent. J'en ai reparlé, je crois, à mes parents quelques jours après et elleux, je crois, qu'illes n’avaient même pas eu connaissance de ces passages. C'est-à-dire que c'est une communication qui s'est faite entre l'école et les enfants. À 6 ans, bien sûr, j'étais totalement pour. Je pense que c'était certainement des militantes de tout ce mouvement autour de la GEM qui est l'association générale des étudiants de Martinique ou l’AGEG qui est l’association générale des étudiants de Guadeloupe, cette association a précédé l’AGEM. Tous ces mouvements essayaient d'organiser une conscience antillaise et je crois que c'est le seul moment avant plusieurs années, jusqu'à la marche, peut-être du 23 mai 98, où j'ai vraiment eu affaire à des gens d'extérieur... Comment dire ? Des gens venu·es d'associations autres que folklorique. Je renvois d’ailleurs aux travaux d’Audrey Célestine qui a beaucoup travaillé sur le milieu associatif justement. Je me demande si le fait d'avoir eu uniquement des associations folkloriques antillaises qui dansent au repas de Noël de la mairie, dans les maisons de retraite ce qui a été beaucoup présent pendant 25, 30 ans et ce qui a été beaucoup, également, mis en avant et promu par les pouvoirs publics, qu'ils soient locaux ou autres ; maintenant que l’on est en train de parler et que l’on travaille sur ce sujet toutes les deux depuis quelques semaines, s’il n’y a pas eu aussi des stratégies de promotion de la doudou, du soleil, de Franky Vincent (que je vous laisse à vous guadeloupéen.nes) pour assécher un peu une parole qui a survécu au BUMIDOM. Ces dames venaient aussi des îles, elles étaient exilées.

M : Lorsque tu dis que la communication s'est faite qu’entre l'école et les enfants, c'est dommage puisqu'on voit à quel point ça a retiré l'opportunité aux parents intéressé·es de faire en sorte que leurs enfants puissent les rapprocher plus des îles. J'ai envie de dire que c'est typiquement français de ne pas porter attention aux langues régionales. Maintenant, ça a commencé à changer mais on sait très bien qu'à l'époque c'était le français, la langue de la France.

S : Oui enfin le breton et le corse étaient des spécialités au bac.

M : Oui c’est vrai. La question des langues régionales était vraiment très particulière surtout vis-à-vis des langues régionales des territoires d’outre-mer.  On en parlait déjà pas du tout à l'époque. Le créole n’était même pas vu comme une langue mais comme un simple patois.

S : C’est ce que l’on nous disait : le créole est un patois.

M : Oui donc ça ne m’étonne même pas qu’il y ait une absence, un défaut de communication entre l’association et les parents. Quoi qu’il en soit, je trouve ça vraiment bien qu’il y ait pu avoir des associations. Ça montre à quel point les communautés, la diaspora en place en France faisaient en sorte de créer ou essayait de créer une sorte de continuité, de préserver un lien. Je reprends également les mots de Valérie, mon invitée pour l'épisode sur le magico-religieux qui disait qu'il est nécessaire de créer un pont. Ces associations faisaient en sorte que les ponts construits perdurent toujours. Quelque part, j'ai même envie de dire avec absolu ou en tout cas avec beaucoup de détermination, que la question de ta « martinicanité », la question de ton identité Martiniquaise n'a jamais été problématique dans le sens où comme tu l'as dit précédemment même l'expliquer c’est dur. Comment c’était de grandir auprès de tes parents, auprès de cette communauté antillaise que tu avais et qui était, je pense, un vrai avantage ? On sait que ce n’était pas le cas, malheureusement, de tout le monde. C’était un vrai avantage, quelque chose qui t'a permis de savoir qui tu étais.

S : Oui. C’était la question de ma francité qui était plutôt compliqué et qui ne l’est plus aujourd'hui parce que je ne considère pas comme française même si j'ai le privilège d'avoir les papiers et cetera. Je ne me sens pas du tout française et ce qui était plus compliqué c'est de s'adapter à des codes et des références qui ne me parlent pas forcément ou qui sont en tout cas compliqués à mettre en lien avec ma culture, mon éducation et mon milieu culturel. Ma martinicanité, je peux aussi la décrire comme le sentiment qui est que à chaque fois que je pose le pied sur le tarmac de l'aéroport Aimé Césaire et ce depuis toute gamine, au plus loin que je me rappelle c'est cette émotion-là : les larmes qui montent alors même que je te dis y être allée peut-être une quinzaine de fois –  je n’ai pas pu y aller plus souvent. Ce sentiment est immédiat. C’est quelque chose qui te prends aux tripes, tu te dis que tu es enfin chez toi. Même si après dans les rapports avec les gens sur place, c'est un peu plus compliqué. De toutes les façons en tant qu’enfant issu d'une immigration entre deux cultures, ça ne se réglera jamais. En tout cas, lorsque j'arrive là-bas, il y a plein de choses qui se reconstruisent. Il y a des morceaux du puzzle qui se remettent en place et je te dis, depuis toute gamine, j'ai toujours eu ce moment cette joie profonde d'émotion. Rien que d’en parler ça remonte parce que ça me manque. Ça aussi, me fait mesurer à quel point je suis caribéenne.

Et malheureusement lorsqu’on échange avec des militant·es décoloniaux récent·es qui font plus partie du mouvement de l'été dernier et qui te disent qu’il faut avoir connu le « nanni-nannan » [6] pour poser un discours sur la lutte là-bas...Il y a des choses que je n’ai pas connu c’est vrai il n’empêche qu’il y a des choses qui se ressentent et que l’on vit.

En Martinique, mes grands-parents nous élevaient comme des gamin·es antillais·es. Il n’y avait pas de différence dans le traitement et dans tout ce que l’on pouvait nous transmettre. Je voudrais aussi dire aux gens qui tiennent ce genre de discours que ce n’est pas simple pour nous non plus.

Tout à l'heure on parlait des cours de de créole, moi je connais aujourd'hui des initiatives pour se retrouver régulièrement à Paris dans un café pour ne parler que créole. Il y a le besoin de se réapproprier notre langue et de parler de notre vie sur tout un tas de sujets. Se réapproprier des images, des métaphores parce que c’est ce qu'elles portent nos langues. Elles sont très métaphorique et très spirituelle. Il y a des dimensions mystiques... Enfin, c'est la plus belle langue du monde pour moi. C'est un bonheur de la parler, je trouve. C'est un bonheur de la parler, de la comprendre lorsque l’on a la chance de le faire.

Il y a donc tout ce travail de reconquête d'une part de notre identité qui est fait par des enfants d'exilé·es antillais·es actuellement. Alors lorsque l’on nous dit dans les analyses sociologiques au doigt mouillé que nos parents étaient obligé·es de survivre et que par conséquent illes ont abandonné les Antilles et que leurs enfants c'est-à-dire nous, on est plus là à chercher, à nous construire, à nous épanouir en France... Non ! Merde ! Toute notre vie elle passe à retrouver notre culture, pas notre identité parce qu'on l'a, mais nous raccrocher à des bouts de culture. Il y a très peu d’offre culturelle et associative qui nous donne accès à cette culture. Les initiatives mises en place sont liées pour le coup, je le reconnais, aux milieux militants afroféministe menées par des antillaises en l’occurrence. On passe notre vie à reconstruire les bouts de notre culture. Et oui, effectivement, on n’a pas vécu dans le « nanni-nannan » mais le « nanni-nannan » on l'a en nous. J'ai envie de dire à tous ces gens qu’il va bien falloir comprendre que parler décolonialisme, de martinicanité, de guadeloupéanité, de guyanité et cetera, c’est dépasser un cadre géographique. C’est-à-dire les groupes d'antillais·es qui existent maintenant partout ne sont qu’une répétition de ce que tu disais sur le recyclage des populations colonisées. On est encore déplacé·e à des fins politique et impérialistes. Et puis on n'est pas un bloc compact d’antillais·e. En tout cas, on existe et il va falloir faire avec.

M : Ce que tu viens de dire me fait penser à deux choses. La première on oublie, et on l’a redit dans notre épisode sur le BUMIDOM et en début de cette interview, à quel point il y a eu tout un système derrière ce déplacement des populations. Je pense que je ne le dirai pas assez. On a l'impression que les personnes qui sont parties sont des personnes qui nous ont trahies en nous laissant. Alors même que cette période est une période difficile que tout le monde s'accordait à dire. La France avait failli les anciennes colonies par l’assimilation en créant la départementalisation. La France a également failli en n’apportant pas de progrès social, de progrès institutionnel et de progrès politique. Les Antilles françaises, les DOM-TOM français faisaient face à une pauvreté sans nom. Ça, c’est la deuxième chose, le deuxième point. On oublie quel était le contexte social dans lequel les personnes sont parties. Mon père me disait que c‘était mourir en Guadeloupe ou partir France. Il comprenait bien évidemment qu'il était difficile de construire une vie, de s'épanouir en Guadeloupe entre les politiques en place non adaptées à la situation géographique et sociale des DOM-TOM et surtout les ramifications esclavagistes et coloniales qui perdurent à l'heure actuelle où le pouvoir économique appartenait et appartient toujours aux mêmes personnes. Et en effet, il n'y a absolument rien de mal à partir pour survivre. On est une population qui ne fait que ça. On est super résilient·e, ce n’est pas pour rien. Mon père m'a toujours dit également, on est dans la survie. Si je m’attarde de plus près sur la vie de mon père, je ne sais pas m’étaler longtemps là-dessus, il a vécu dans la rue très tôt. Il a su se débrouiller comme on dit débouya pa péché [7]. Il a su ce que c'était de vivre en Guadeloupe à cette époque : violences policières, violences économiques et politiques. Pourquoi reprocher à des individus de partir lorsqu’illes essayaient de trouver une meilleure qualité de vie ou/et soutenir leur famille rester au pays ?  Être antillais·e c'est aussi penser que l’on devrait n’être que dans la survivance alors que l’on oublie... Peut-être que l’on n’a jamais su alors ne on ne peut oublier que l’on peut simplement vivre. On ne peut pas reprocher aux individus voulant avoir une vie paisible d’avoir une vie paisible.

S : Oui, effectivement. Je pense qu’il y a vraiment une question de survie. Après trouver une vie paisible c'est une vie paisible, tant qu'on est au pays. Je ne pense que mes parents ont jamais eu un rapport non plus à apaiser au fait de vivre en France. Toutefois il ne faut pas nier l'accès à des conditions de vie et à une offre culturelle super large comme pouvoir voyager facilement d'un pays à l’autre. Il y a eu plein de privilèges et avantages. Malgré tout, je pense qu'il n’y a jamais eu une possibilité pour elleux de vie paisible ici, pour une simple et bonne raison. C’était très particulier.

Pour revenir à mon enfance, ça, je l'ai compris très vite lorsque l’on revient aux Antilles on n’a pas le même mode vie que ses cousin·es. C'est-à-dire que moi, mes parents, s’illes devaient nous faire garder par exemple toute une journée c'était très compliqué pour elleux. Je vois avec mes tantes et maintenant mes cousines, l'enfant, il y a toujours quelqu'un pour le garder. Moi, ma mère, je ne sais pas comment elle a pu vivre sa maternité enfin mes parents ont pu vivre leur parentalité en se construisant seul·e. Ce n’est pas la même que lorsque l’on est au sein de sa famille. Ce n’est pas pareil de vivre sa grossesse à distance de sa mère. Il faut aussi entendre que ce n’est pas possible d'avoir une vie paisible lorsque l’on se construit en tant qu’adulte et en tant que parent dans des conditions qui sont radicalement différentes de ce que sont nos schémas. Il a fallu pour elleux apprivoiser et vivre là-dedans et se battre avec ça. Ce n’est pas facile du tout.

Je voudrais dire aussi par rapport à la question du départ, soit du retour au pays, il y a très peu de gens de l'entourage de mes parents qui n’ont pas demandé leur mutation très tôt. Je crois que mon père a demandé très tôt sa mutation, je devais avoir 6 ou 7 ans et ça faisait presque une dizaine d’année qu’il était là.  Je pense qu'il y a eu comme ça une ou deux fois des demandes de mutation pour repartir, pareil pour ses ami·es. Certain·es ont réussi au bout de 10 ans, 15 ans à repartir. Le départ n’a jamais été définitif. Pour eux, il n’a jamais été définitif. Ça a toujours été une lutte. Je pense que c'est là que je mesure les choses. Je pense que ça a été très difficile pour elleux de se dire que l’on ne peut pas retourner chez nous et qu’il va falloir avancer et continuer en France. Se projeter et construire une vie dans un cadre que l’on n'a pas forcément choisi et qui ne nous plait pas forcément. Je voudrais donc que les gens l'entendent dans la question de la diaspora et de qu'est-ce qu'on fait de cette population-là. Alors oui, on est revenue et que peut-être que l’on nous a considéré comme des vacancier·ières y compris mes parents ce que je trouve hautement insultant. Mes parents ne sont pas des vacancier·ières. Illes retournaient une fois tous les 3 ans, 2 mois pour profiter de leurs parents. Ce n’était pas des vacances. Moi non plus je n’étais pas vacancière. Je rentrais au pays pour voir mes grands-parents et avoir du contact. 

M : La diaspora arrivée ou non avec le BUMIDOM dans cette période d’exil est considérée soit comme des négropolitain·es, ce qui est aberrant notamment dû à ce que le terme représente soit comme des vacancier·ères. Vous n’étiez pas considéré comme étant de vrai·es martiniquais·es. Et ça, on avait pu le constater. C'est toi d’ailleurs qui avait souligné je te cite quelque part, le fait que l’on vous définisse constamment. L’autre vous redéfinit constamment. L'autre est la personne qui est restée sur l'île puisque le terme négropolitain vient des antillais·es resté·es au pays et l’autre est aussi le regard blanc qui essaie de vous cantonner à des stéréotypes que vous essayez de casser.

S : Oui effectivement.

Être antillais·e en France, comme tu le dis, c’est être sans cesse défini par l'autre par rapport aux îles et le regard blanc. Au travers du regards blanc, ce sont des raisons très objectives. On est considéré·e comme les noir·es acceptables, domestiqué·es et amusant·es ou du moins divertissant·es au sens de la bouffonnerie.

Par exemple j'ai grandi avec la publicité oasis avec Carlos qui est tout le cliché de la doudou. Ou alors c'était la compagnie créole et c'était Marie-Thérèse qui nous a pourri toute notre vie avec Légitimus des inconnus. C’est être à la fois lia noir·e que l’on a domestiqué dans le regard blanc et puis surtout lia noir·e qui n’est pas sauvage, qui n’est pas musulman·e et qui n’est pas foncé·e de peau dans la plupart des cas. C’est quelque chose qui est plus proche du blanc. Il faut alors grandir avec ça par rapport au regard blanc.

Et puis il y a aussi le fait d'être aussi redéfini par des noir·es non caribéen·nes. Je vais dire très clairement que la communauté africaine ou en tout cas une partie vous explique, et ça, je l'ai vécu toute ma vie, que l’on est des noir·es blanchi·es et que l’on n'est plus des vrai·es noir·es puisque nos parents ont été vendu au blanc pour deux trois pacotilles. Ce commentaire je l’ai eu venant d'une super bonne copine de collège, c'est tout de même assez violent ! Être défini par les autres, c'est le mythe d'une identité noire dans lequel on veut nous rattacher alors qu’il s’agit d’une identité noire qui s’est construite par défaut pour les caribéen·nes.

Elle est très afrocentrée en tout cas sur une partie du continent avec une esthétique qui pour moi ne me parle pas en tant que caribéenne. Et ce pour tout un tas de raisons. Ça ne correspond pas à un système, à des valeurs aussi. Être antillaise dans le regard noir non caribéen c'est aussi être la fille de petites vertus qui est mère célibataire d'enfants de pères différents si possible. C'est grandir aussi avec ça. C'est être méprisée dans les show de toute la vague de comédien·nes humoristes du Jamel Comedy Club ou encore de toute la vague d'humoristes communautaire entre guillemets. Il y a les blagues contre les femmes et les blagues contre les antillais·es. L’antillais ce n’est pas forcément le mec le plus fin de la terre, il est même assez soumis parce qu'il a été esclavagisé. Fari nous avait sorti une blague il y a quelques années en disant que les antillais·e on ne les avait pas beaucoup vu se lever lors des luttes contre l’esclavage. Voilà. On a des choses comme ça très violentes partagées d’un groupe à un autre. Et le pire, c'est que ce sont finalement des clichés coloniaux qui passent des blancs à des communautés racisées que l’on intègre et qui nous faut rejouer la division entre noir·es caribéen·nes et noir·e non caribéen·ne.

Pour le coup, il existe une concurrence autour du récit et de la narrative autour de l'esclavage. C’est-à-dire entendre Kémi Séba, Dieudonné et d’autres qui vous explique et vous rapt le discours sur l’esclavage au profit de leur idéologie. Peut-être qu’à l’heure actuelle ce n’est plus le cas mais je me souviens encore qu’il y a une quinzaine d’années, j'étais sur un forum antillais communautaire où l’on s'est beaucoup bagarré·e avec les partisan·nes de Kémi Seba et panafricain·nes qui osaient nous réexpliquer à nous antillais·es, ce que nous étions profondément. Tout ça me gave. Les mouvements afrocentrés, je les fuis maintenant comme la peste. Il y a une incompréhension profonde de ce qui est notre histoire et de ce qui est notre identité. Je n'aime pas l'entreprise qui est de créer une identité noire qui serait la même pour toustes qui est finalement une fausse identité avec une fausse inclusivité. Le point de vue caribéen est très peu mis en avant si ce n’est ces dernières années où les gens sont très focalisé·es sur mai 67 en Guadeloupe. Malheureusement on oublie tous les autres événements de la même ampleur, de la même gravité qui ont eu lieu ailleurs en Martinique, à la Réunion et cetera. On parle toutefois du chlordécone et de l’incident de la tour de Grenfell en 2017. Cet évènement a par ailleurs mis en lumière l’existence d’une forte communauté caribéenne britannique vivant à peu près dans les mêmes conditions et ayant les mêmes problématique que nous. C’est la Windrush generation. J’ai lu des articles du milieu militant afro redécouvrir le BUMIDOM à lumière du Windrush generation.

Pour moi, c'est typiquement un exemple de la difficulté pour nous en tant que caribéen·nes, à avoir et à prendre l'espace sur nous-mêmes. C'est-à-dire que l’on est tout le temps défini par les autre, on est tout le temps raconté par les autres et on est tout le temps expliqué par les autres. On a beau avoir maintenant 400 ans de culture, il faut tout de même que des noirs non caribéen·nes viennent nous expliquer qui nous sommes alors qu’illes ne nous connaissent pas, ne connaissent pas notre histoire et ne connaissent pas l’étendue et la richesse de ce qui est notre culture. C’est pour ça que c’est compliqué d’être antillais·e en France. Et ce qui est d'autant plus paradoxal pour moi c’est de voir des jeunes militant·es décoloniaux aller directement vers ces milieux-là qui peuvent avoir des analyses sur certains points qui sont très importantes et intéressantes dans le rapport à la blanchité mais qui ne peuvent pas totalement s'appliquer à nous. Voir certain·es militant·s RVN (mouvement indépendantiste martiniquais) puisque que je ne les mettrais pas toustes dans le même panier, être en accointance avec Kémi Séba le mec le plus xénophobe du monde particulièrement par rapport à ce qu'il pense des antillais·es et au contraire ne pas chercher à faire le lien avec des antillais·es qui sont né·es ici en France et qui connaissent une certaine forme de racisme que les îlien·nes ne connaissent pas, pour moi c'est totalement abérents. Je pense que ça montre à quel point la proposition politique pour des groupes caribéens elle est très compliquée à trouver. Pourquoi tout le monde se précipitait et se précipite sur l’afroféminisme [8], moi la première, c’est parce qu’il n’y avait aucune référence et offre politique qui permettaient de me penser en tant que caribéenne vivant en France dans un lien très fort à mon pays d'origine qui est la Martinique et je dirais plus largement la Caraïbe. Sur la question identitaire, je crois qu'il y a aussi ça qui très lourd, c'est de devoir à la fois combattre un discours blanc et un discours non caribéen doudouiste et de débauche sexuelle qui court encore. Lorsque j’étais à peu près active sur Twitter, je voyais passer des horreurs à longueur de journée et si j’en discutais avec des féministes non caribéennes elles ne comprenaient pas de quoi je parlais alors même que l’on discute de rapport sexiste, xénophobe à longueur de journée en parlant de la blanchité. C’est-à-dire que l’on est totalement aveugle à ce qui peut se dire de nous en termes de misogynie, de sexisme et de Slut-Shaming [9] proprement rattachés à ce que c'est être une fille caribéenne en France.

M : On en parlait avec Julia, de comment le regard colonial continue de perdurer.

S : Sur la culture, l'identité antillaise, oui. Pour moi, ce n’est pas une identité noire, c'est une identité qui est majoritairement noire, et peut-être qu'on sera en désaccord, mais elle n'est pas équivalente à l'identité antillaise. Ce n’est pas possible de se définir que comme ça parce que l’on a intégré un système de valeurs, comme je disais, spirituel et moral totalement différent qui est né du mélange entre différentes cultures. La preuve en est lorsque l’on parle des Antilles, on parle du Colombo et du madras. Mince ! Si on ne peut pas dire qu’il y a une empreinte et un héritage indien alors merde quoi. Il y a 15 ans lorsque j’étais sur ce fameux forum des gens disaient que les indodescendant·es n’ont rien apporté aux Antilles. Je pense qu’il y a cette idée d’étrangeté et d’altérité délégué à des populations qui ne sont pas noires. J’entendais il y a quelque années sur un podcast une jeune femme dire qu’aux Antilles il y a des chinois·es et qu’illes n’ont pas de tête d’antillais·es. Tu comprends alors qu’il y a un gros boulot à faire là-dessus.

Si on va plus loin dans la gestion des populations colonisées c’est-à-dire les engagé·es avec de grands guillemets puisqu’effectivement ça c’est fait autour de rapts, supercherie et escroquerie notamment sur le travail, le contrat de travail qui promettait le retour au pays natal et cetera ; on les traitait à l’arrivée avec des modalités qui rappellent beaucoup la manière dont on traitait les esclaves africain·es. En Martinique je sais que l’on a séparé des groupes qui venaient des mêmes régions de la colonie indienne et en Martinique particulièrement de façon à ce que les personnes communiquent le moins facilement ou/et mettent plus de temps à recréer une solidarité et une cohésion. Je sais qu'en Martinique on a aussi coupé les noms indiens alors qu'en Guadeloupe à la Réunion, les noms sont restés intacts. C’était une stratégie permettant de casser les filiations, de précipiter l’acculturalisation afin de réduire à néant des velléités de révolte contre un système qui a promis le retour au bout de 5 ou 7 ans, je ne sais plus. Moi, mes aïeux.aïeules, illes sont arrivé·es certainement dans l'optique de faire quelques années aux Antilles et de repartir ensuite. Pourtant je suis toujours là, ma maman est toujours 150 ans après.

Je digresse un peu mais c’est particulier. Je ne sais pas si c'est propre à la Caraïbe francophone qui est dans des rapports coloniaux à la différence d'autres régions de la Caraïbe hispanophone ou anglophone où il y a aucun mal à reconnaître cette identité ethnique. Moi, mon rêve ce serait d'emmener ma mère à Trinidad pour rencontrer des caribéen·nes indien·nes. Je kifferais. Je regardais l'an dernier le festival indien de la culture indienne à Trinidad. On y voit autant des trinidadien·nes noir·es afrodescendant·es que des indodescendant·es et syrodescendant·es parler du festival comme quelque chose qui leur appartient, qui est totalement intégré et qui fait partie de la culture. Dans d'autres parties de la Caraïbe non francophone, on va fêter des fêtes indiennes comme le diwali. Toutes ces fêtes-là sont intégrées dans la culture et le rythme de vie de tout·e caribéen·ne. Alors pourquoi en France, on a encore le cloisonnement et le rejet de l'altérité à des non noir·es. C’est pour moi typiquement un effet de la gestion des populations coloniales qui est typiquement française qui est bien particulière et qui est la plus rude et la plus raciste pour des raisons évidentes. On continue d’entendre que les chinois·es n’ont pas une tête d’antillais·es ou que les indien·nes sont des gens un peu étrange et mystérieux alors que tu as grandi en Guadeloupe. Alors que tu côtoie des indien·nes toute ta vie.

M : C’est vrai que l’on ne remet pas du tout en question le fait que les Antilles françaises sont en majorité noires. Ce n'est pas du tout le point et ce serait complètement faux d'un point de vue démographique que de l'affirmer. Il s’agit au contraire de préciser à quel point et encore une fois pour moi, je trouve que les travaux de Raphaël Confiant, d'Édouard Glissant sur la créolisation sont importants et sont primordiales pour nous, pour comprendre que oui, nous sommes en effet afro-descendant·es, mais pas que. Je n’ai aucun problème à dire que je suis afrodescendante.

S : Mais j’ai le droit de dire pas que.

M : Exactement.

S : C’est l’histoire de ma vie. Je voudrais également donner une note de la direction, c'est qu'avant d'être le pays des droits de l'homme, la France est tout de même le pays du racisme théorisé et scientificisé. Le code noir c’est tout de même en France qu’il a été créé et qu'il a structuré d'autres codes beaucoup plus cléments dans d'autres colonies.

La parenthèse étant faite ce que j'aimerais dire aussi sur cette question d'identité noire qu'on veut nous imposer, en tout cas en France métropolitaine, c'est aussi une identité afro très réductrice puisqu'elle se va se concentrer vraiment sur l'Afrique de l'Ouest. Puis tu vas discuter avec des personnes gabonaises et togolaise, on est encore sur d'autres nuances dans les échelles de valeur et le rapport à un certain nombre de questions. Voilà pourquoi pour moi, c'est se fourvoyer que de se dire je suis noire et comme je suis noire, je suis africaine.

J’ai aucun soucis et je suis contente de ta remarque parce que moi ça a toujours été ça des discussions à dire qu’être caribéenne ne revient pas à nier mon héritage qui est centralement africain. Pour ma mère, il sera centralement indien et c'est comme ça. Pour une majorité de la population antillaise au vu de notre histoire il sera afrodescendant. Il y plein d'antillais·es et on revient à la discussion de tout à l'heure qui ne le sont pas. Il y a eu tout ce mélange de culture, cette hybridation qui fait qu'on a une culture propre à soi.

Et ça me renvoie une remarque d'une jeune femme afroféministe, qui pour le coup j'estime beaucoup, elle avait tweeté il y a quelques années en étant elle-même d'origine africaine: Il va falloir arrêter de considérer que tout le monde à partir du moment que l’on est noir·e est africain·e. Qu’est-ce sera dans quelques siècles le fait d'être afrodescendant·e dans d'autres régions du monde ? Ce qu'elle essayait de dire, c'est que le mouvement de l'histoire fait que l'identité n’est pas aussi monolithique qu'on veut nous la faire croire. Elle n’est pas figée. Elle n’est pas donnée une fois pour toute. Oui, il y a des mots dans ma langue, des contes et des expressions inspirés de l'Afrique que nous portons en nous pour autant on ne peut nous réduire qu'à ça. Ce serait vraiment une insulte à d'autres populations y compris les natives des départements et territoires d’outre-mer. Le fait de tout ramener à une identité africaine c'est quelque chose de très compliqué qui fait ressortir une compétition et des enjeux concurrentiels idéologiques. C’est-à-dire le fait que tout le monde est noir·e et que c’est noir·e contre blanc·he. Alors qu’il s’agit des blanc·hes contre les racisé·es, c’est déjà différent. Si bien que pour en revenir au rapport avec la communauté noire non caribéenne c'est te redéfinir tout le temps et c’est t’inclure dans un mouvement qui est celui de l’appropriation culturelle. Des gens revendiquent par exemple le zouk, petite dédicace, au titre que nous sommes noire et au profit d’une certaine connaissance du zouk qui est le zouk love sans comprendre que le zouk est riche. Il ne s’agit pas que de Francky Vincent ou de les lover. Il y a derrière toute une portée politique. Il y avait eu il y a deux ans toute une débâcle sur la prononciation du mot goyave. Des gens venaient nous expliquer que l’on était des couillon·nes à dire go[i]yave et pas g[o]yave alors qu’il n’y a que les blanc·hes et non antillais·es qui parlent comme ça. Sans cesse, quoi que tu dises, quoi que tu fasses, quoi que tu respires, tu es paternalisé·e. Les gens t’expliquent ce que tu es dans ta chair et ce que tu ressens dans ton être. Non, tu t'es trompé·e, tu as mal appris ta leçon. L’identité c'est une leçon qui s'apprend. Pour revenir à ce que tu disais tout à l'heure, je suis tout à fait à l'aise avec l'idée que mon identité est caribéenne. Elle est afrocentrée de par l’histoire de mes parents mais elle est avant tout caribéenne. 

M : C'est vrai que dans toute cette question, qui est la question de la définition de l'identité, c'est de savoir que l'autre malheureusement te redéfinit. Ce n’est pas simplement dire d’où l’on vient mais c'est également redéfinir tout ce que tu penses être et tout ce que tu es. C’est très violent parce que je pense que, et encore une fois, c'est tout le point de cette nouvelle saison sur l'identité, c'est redéfinir des individus à qui l’on a refusé cette identité pour des raisons idéologiques et de recherche idéologique. Je comprends très bien tous les mouvements qu'il peut y avoir sur la valorisation de notre afrodescendante. C’est tout à fait légitime.

S : Oui bien sûr, notre héritage africain. Ce n’est pas un héritage totalement identitaire, c’est un héritage culturel.

M : Tout à fait parce qu'on est dans la recherche perpétuelle de qui nous sommes. Le déracinement a été très violent. On en porte encore les traces donc c'est tout à fait légitime que ce genre de d'initiative soit portée. À l’inverse, ce qui ne l’est pas c’est que l’on exclut de cette identité et qu'on exclut de ce que devrait être l'identité, beaucoup trop d'individus. Et je pense que ça va être notre dernière point là-dessus, avec toi, sur ce sujet de la diaspora, de l'exil, du BUMIDOM et pas que puisqu'il n'y a pas que des personnes qui sont parties avec le BUMIDOM, on interroge comment l'identité se construit et comment celle-ci est remise en question. Comment peut-on dépasser, si je reprends tes mots, cette idéologie de la pureté identitaire ?

S : Si tu veux, j'entends ce que tu dis sur la recherche perpétuelle parce que c'est mon cas. Toutefois c'est une recherche qui se fait dans le sens de me raccrocher à ma culture caribéenne. Je pense qu’à un moment, mon rapport à l’Afrique m'a travaillé mais l’Afrique ne se pose pas en termes de rapport au continent africain, elle se pose en termes de mon rapport d'afrodescendante à la Caraïbe. Comment ça se raccroche dans ma culture ? On parlait de la langue, on parlait de conte et cetera, c'est là-dedans que je vais rechercher ma part d'africanité. Je n'irais pas la chercher au travers de mon rapport à l’Afrique en 2021. Je ne suis pas africaine. C'est ridicule de penser que je serais africaine. Je sais que je me ferais rire au nez si je me déclarais auprès d'africain·nes africaine. Je disais une fois que mes pieds sont ici mais ma vie et mon esprits sont tournés vers la Caraïbe vers la Martinique, profondément.

Pour rebondir sur l’idée de pureté identitaire antillaise, c'est peut-être un peu fort et un peu absolue comme terme. Ce que je voulais dire c'est que la prétention à vouloir définir une identité par rapport à un phénotype bien précis et un espace bien précis ne me convient pas.

Je pense que l’identité antillaise, on a essayé de l'expliquer et je pense que t'essayes de l'expliquer dans ton travail comme beaucoup d'autres et on se rend compte que l’on ne peut pas être réduite à un phénotype et à un espace. Ça ne marche pas. Le RVN, je ne jette pas la pierre sur l'ensemble du mouvement, je pense qu'il y a énormément de choses qui ont été faites positives y compris très forte. L'été dernier j'étais à fond parce que franchement ça a été libérateur et vraiment porteur d'espoir. Malheureusement lorsque l’on regarde de plus près, il y a des discours transphobe, homophobe, qui sont renforcés qui existaient chez nous et qui sont renforcés. Je trouve que ce n’est pas forcément quelque chose de positif. Il y a aussi de la misogynie. Il y a des aspects dans le discours de certaines personnes qui sont comme tu le dis fondamentalement excluante et pas du tout inclusive. J’ai vu la dérive où je me suis dit : « Attends un moment je suis en train de soutenir un truc qui à partir du moment où tu n’es pas hétérosexuel·le, tu n’es pas noir·e, tu n’as pas d’héritage africain et que tu n’es pas né·e sur le sol donc tu n’as pas forcément de légitimité à rejoindre le mouvement. ». La colonialité que l’on subit n’est pas uniquement dans les frontières de la Martinique. La colonialité on l’a subi aussi en étant une caribéenne en France avec tout ce que l’on a évoqué. Ça charrie sur le fait d’être une étrangère sur bien des point à cette société.  Un discours trop afrocentré calqué sur un discours panafricain nous correspond sur certains points mais sur d'autres ne nous comprend plus parce que les structures familiales ne sont plus les mêmes et les rapports aux gens ne sont plus les mêmes, ça devient compliqué. Ça devient vraiment compliqué.

M : Je pense que depuis quelques années on voit de plus en plus de mouvements qui souhaitent justement légitimer nos acquis, nos connaissances, notamment d'un point de vue environnementaux. Ce sont tous ces mouvements qui mettent en avant le créole, les savoirs ancestraux et cetera. Et mettent en avant également notre identité antillaise dans un point plus large, guadeloupéenne dans un point beaucoup plus local ou Martiniquaise pour ton cas. On porte ces identités afin qu’elles rayonnent. Faire rayonner notre culture qui est beaucoup plus valorisée à l’extérieur du territoire français continental et métropolitains qu'on veut bien le croire. Mon partenaire me disait que l’on a trop l'habitude de voir notre identité sous l'œil français et on oublie à quel point à l'extérieur du territoire français, notre identité est extrêmement valorisée. Et que les gens aiment notre culture et apprécient notre culture. Je pense que l’on s'oublie au travers de ce regard-là.

S : Oui, pour rebondir sur ce que tu viens te dire. J’ai été une ado qui s’est construite dans les années 90 et 2000. C’était l’époque du RNB et dancehall, c'était exclusivement noir donc c'était vraiment porté par une culture noire avec des apports afrocaribéen et caribéen très fort puisqu'il y avait des références à des morceaux de dancehall que j'écoutais comme raggamuffin lorsque j'étais aux Antilles. Il y avait quelque chose d'extraordinaire. Ça a été un bon moment de se construire à cette période-là. Le rayonnement de la culture caribéenne existe dans la musique, par exemple, depuis très longtemps.

M : Ce retour à la Martinique, ce retour à ton identité antillaise aux côtés caraïbéen me permet finalement de clôturer en beauté cet échange qui encore une fois était sur l'interrogation de l'identité pour des personnes exilées en France, notamment des premières des deuxièmes générations d’enfants né·es du départ de leurs parents pour trouver une vie meilleure entre guillemets en France. Je ne pouvais pas mieux espérer de cette interview que toute la conversation que nous avons pu avoir. J'ai beaucoup apprécié. J'ai beaucoup aussi apprécié ton honnêteté et je te remercie énormément. Mais peut-être avant de clôturer, est-ce que tu aurais un petit mot de fin ? Quelque chose ? Je ne sais pas.

S : Je voulais encore te remercier vraiment de nous avoir donné l'opportunité de cet échange. Je trouve que c'est toujours un plaisir dans la préparation et la discussion. On peut enfin échanger des points de vue des deux côtés de l'eau finalement. Ce sont des choses que j'ai très peu vécu ou rencontré dans ma vie. Et si je devais conclure ce qui est très compliqué, si cette conversation pouvait un peu plus éclairer sur ce que c'est que d'être né·e de parents vivant ici dans une autre culture et que ça sensibilise au fait qu’il existe un très fort intérêt de notre groupe pour tout ce qui se passe là-bas aux Antilles. On a une voix aussi. On a aussi un point de vue à apporter et des forces à apporter pour lire aussi ce qui se passe ici en termes de rapport à raciaux. C'est un autre point de vue qui peut enrichir la réflexion locale sans empiéter. Je pense que j’en serais déjà très satisfaite. Puis si je devais terminer, je voulais aussi que cette conversation soit un grand merci, un grand hommage à mes parents et aux parents de mes ami·es qui elleux n'auront pas la possibilité et la chance de pouvoir retourner, finir leurs jours aux Antilles. Un grand remerciement pour leurs sacrifices. Je pense que c'est une vie qui n’est pas facile, mine de rien.

 

[1] Créole martiniquais, traduction : Respect pour tout personne de la Caraïbe.

[2] Personne noir·e d’origine antillaise né·e en France et assimilé·e à la culture française. Le terme est un mélange entre nègre et métropolitain.

[3] Black Feminism : Expression qui englobe la pensée et le mouvement féministe africain-américain né aux Etats-Unis dans les années 1960-1970. Ce courant révolutionnaire parle à partir de l’expérience de femmes noires pour décrire une réalité que le mouvement féministe banc et le mouvement pour les droits civiques n’ont pas pris en compte. (source Mwasi collectif)

[4] Créole martiniquais, traduction : Je ne suis pas affilié au BUMIDOM, je ne suis pas affilié au BUMIDOM.

[5] Le doudouisme englobe tous les stéréotypes coloniaux et racistes que les français·es et les européen·nes ont des Antilles.

[6] Il s’agit d’une expression courante aux Antilles pour désigner le passé. Dans ce contexte, Sandrine fait référence au fait qu’il lui a été reprochée de ne pas tout connaitre de la Martinique.

[7] Expression créole utilisée aux Antilles signifiant : Ce n’est pas un péché d’être débrouillard·e.

[8] Afroféminisme : Mouvement politique et militant visant à combattre à la fois les systèmes d’oppressions et d’exploitation que sont la suprématie blanche, le patriarcat et le capitalisme. S’il est à mettre en lien avec le Blackfeminism (cf définition), ce mouvement tient compte des particularités européennes et des contextes nationaux. Il a été très visibilisé dans les années 2013 via les réseaux sociaux et est aujourd’hui porté en France par des collectifs tels que Mwasi ou Swatche. La première organisation politique et collective de femmes Noires en France est la Coordination des Femmes Noires active à Paris de 1976 à 1982, puis le Mouvement des Femmes Noires de 1978 à 1982 entre autres. (source Mwasi collectif)

[9] Le slut-shaming est l’action de culpabiliser et critiquer les femmes jugées “trop sexuelle”.

 

Ressources supplémentaires :

  • Audrey Célestine : La transformation des identifications raciales sous l'effet des migrations vers la France Hexagonale. 

  • Estelle-Sarah Bulle : Là où les chiens aboient par la queue

  • Françoise Vergès : L'outre-mer, une survivance de l'utopie coloniale républicaine ? 

  • Isabelle Mette : La France vue depuis les Antilles : Si loin, si proche

  • Jessica Oublié : Peyi an nou 

  • Karukérament (podcast,ig, twitter) :  Le numéro 5 

  • Malcom Ferdinand : Une écologie décoloniale 

  • Maryse Condé : Désirada

  • Raphaël Confiant : Manzelle Libellule 

  • Romain Cruse : Une géographie populaire de la Caraïbe 

  • Stephanie Condon : Migration antillaises en métropole 

  • Zaka Toto : Le Zist

  • Exposition : Hexîle (avec l’assocation Sonjé et Adada) qui organise une exposition en juin 2021 à Pierrefitte «  Partir pour la métropole, une odyssée populaire »

  • Film : Le Bumidom, des français venus d'outre-mer

  • Podcast:

    • Merci Papa, Merci maman

      • Épisode 12 : Papa Alex

      • Épisode 14 : Maman Suzette 

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