Que fait l’adoption à l’identité ?

 
Adoption :
  1. Adoption plénière se dit d'une adoption dans laquelle l'enfant adopté s'intègre complètement à la famille de l'adoptant et perd tout lien avec sa famille d'origine.
  2. Adoption simple se dit d'une adoption où les liens avec la famille d'origine ne sont pas rompus.
  3. D'adoption se dit d'une famille, d'un pays, etc., que l'on a adoptés, choisis, préférés à d'autres.

©Larousse

 

Avant-propos : En compagnie de Florie, nous discutons de son parcours identitaire entre Haïti et la France et de sa volonté de faire connaître la narrative des enfants adopté·es racisé·es face à celle surmédiatisée des adoptant·es blanc·hes.

 

Mélissa : Je cite : « La question de la communauté est centrale pour moi, est-ce que parce que nous avons la même couleur de peau ou la même histoire que nous sommes et devons être une communauté ? ». Bonjour Florie, comment vas-tu ?

Florie : Je vais bien, et toi ?

M : Ça va, merci. Alors la citation que je viens tout juste de citer, elle est de toi Florie plus exactement de ta réponse à la question de ton appartenance à la communauté haïtienne en ayant baigné dans la culture française et blanche. J'ai beaucoup apprécié ton commentaire et j'ai su que nous devions en parler plus profondément après tout et j'en reviens toujours au point de cette nouvelle saison, comment la race, l'ethnie et la classe sociale définissent notre identité et notre degré d'appartenance à la communauté dont nous nous revendiquons. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, Florie, dis-moi, qui es-tu ?

F : Je vais avoir 20 ans à la fin du mois. Je suis d'origine haïtienne, j'ai été adoptée à un an et demi. En ce moment, je suis en deuxième année de biologie végétale et j'étudie dans le sud de la France. Je suis passionnée de politique, d'histoire et j'ai commencé à m'intéresser aux questions raciales en découvrant le livre Discours sur le colonialisme d'Aimé Césaire et depuis je reste toujours passionnée. J'adore étudier les mouvements sociaux comme les mouvements féministes, antiracistes, LGBT. Ça me permet de mieux appréhender les rapports sociaux dans la société en général.

M : Et ce qui est aussi important puisqu’étant donné que tu es une femme noire haïtienne, adoptée en France, c'est aussi nécessaire pour toi je suppose de savoir comment interagir dans ce social qui est différent de ta propre couleur de peau.

F : Oui c'est ça. J'ai l'impression qu’en ayant été adoptée, je n’ai pas reçu certaines cartes. Par exemple pour appréhender le racisme et ces questions-là mes parents sont dans une logique assez républicaine où en France on ne voit pas les couleurs. Ça m'a empêché d'appréhender plein de faux compliments que l’on me disait, par exemple.

M : Et justement, est-ce que tu pourrais me décrire comment était ton enfance ? Ou adolescence ?

F : J'ai eu une enfance plutôt heureuse, je suis fille unique. L'adolescence a été un peu plus conflictuelle car je commençais à me renseigner sur le racisme et j'ai vite compris qu'il y avait un décalage entre mes parents et moi sur ces questions-là. Je me suis rendue compte que c'est compliqué de grandir juste à travers le regard blanc et de l'intégrer comme une norme. Il ne sera jamais bienveillant pour les personnes non-blanches. Même si je suis leur fille et que je suis inclue dans une famille blanche, il n’empêche que mes parents sont de classes moyennes et que j’étais dans un environnement très blanc. Et même si je connais leur histoire, la sociologie, je ne serai jamais vraiment perçue comme française et cette réalité m'a fait assez mal lorsque je l’ai découverte. Je croyais beaucoup au discours d'assimilation, d'intégration et la France n’a pas de couleurs « On est français·e quand on le veut. ». Lorsque j’ai compris que non, ça a été une douche froide.

M : À quel comment tu l’as compris ? Qu'est-ce qui a été le déclic qui t'a fait comprendre que tu étais quelque part différente de tes parents ou même des personnes de ton entourage ?

F : Depuis toute petite, j'ai tout de suite eu conscience de ma couleur de peau. Lorsque j'étais en maternelle et que deux parents blanc·hes viennent chercher une petite fille noire, on est forcément adoptée.

M : Ça ne passe pas inaperçu quoi.

F : J’ai tout de suite appris à me justifier. Après la différence, je l'ai perçue d'un point de vue idéologique et ça, c'était plus tard. Lorsque j'ai compris que la suprématie blanche profitait à mes parents et pas à moi. Alors, oui des fois, par leur privilège, je pouvais en bénéficier mais je ne pourrais jamais intégrer parfaitement leur monde.

M : Je me reconnais aussi dans tes mots ayant une mère blanche et un père noir. Je vois très bien quels sont les avantages dont j’ai pu profiter avec ma mère c’est-à-dire les privilèges par ricochet que l’on a finalement. Je sais que c'est vraiment dur de réaliser que quoi qu'il arrive ce regard, et je vais rebondir aussi sur ça puisqu’encore une fois ça me touche personnellement, est le regard bienveillant blanc de tes parents. Cette bienveillance, c’est assez dur le dire mais la bienveillance qui peut avoir derrière le regard blanc d'un parent peut aussi être raciste. Je ne sais pas comment je pourrais le dire sans ça être brutale. Par exemple il a fallu longtemps à ma mère pour comprendre que l’on était différent·e d'elle et que dans cette différence, il y avait un point social qu'il fallait qu'elle intègre soit le fait que pour la société on n'a pas les mêmes privilèges et on n'a pas les mêmes droits. Et puis surtout on n'est pas de bon·nes français·es.

F : Je suis à la fac depuis 2 ans et je vis à peu près à 200 km de mes parents, j'ai pu approfondir plein de questions sur mon identité, et cetera. Je me suis rendue compte que j'ai été élevée comme une petite fille blanche mais je ne le suis pas. Par exemple sur la question du racisme, mes parents je pense qu'illes sont dans un antiracisme moral c’est-à-dire les racistes seraient les méchant·es et seraient ceux les plus violent·es au quotidien. À part ça lorsque les gens veulent bien faire ne sont pas forcément raciste.

M : Oui c’est un peu la gauche bienveillante quoi !

F : Mes parents sont de gauche et je pense qu’en France on a beaucoup intégré le fait que à droite ce serait les méchant·es racistes alors qu'à gauche on serait bienveillant·e. J’ai compris que pas du tout. Ça m’a encore plus fait l’effet d’une douche une froide. C’est vrai que c'était assez perturbant de se rendre compte de la naïveté de ses parents et je les ai beaucoup envié de découvrir les réalités du racisme à 40 ans passés. Ça les a vraiment étonné de se rendre compte que la société est violente tout le temps. On a eu beaucoup de conflits lié à ça. Maintenant, au lieu d’avoir des discussions je dirais directe et frontale entre nous, j'aime beaucoup le fait de donner des liens de vidéos, d'articles ou je leur prête des livres que je lis. Au moins illes comprennent. Illes comprennent plus les concepts sans qu'il y ait un lien émotionnel soit enfant-parents.

M : Super important. Tu dirais qu’illes sont bien réceptif et réceptives ? Illes lisent et s’éduquent ? Tu peux maintenant rebondir sur des sujets qui étaient houleux par le passé et pour avoir une discussion à ce sujet ou ce n’est pas encore le cas ?

F : Je pense qu'illes ont toujours un peu cette fragilité blanche avec leur naïveté qui vient avec, mais je trouve qu’on peut maintenant tout de même discuter plus sereinement. Du moment que l’on arrête de dire que raciste est une insulte on discute. Lorsque l’on dit à quelqu’un tu es raciste ce n’est pas une personne mauvaise foncièrement et volontairement, c’est que tu as des idées racistes. Ce n’est pas une attaque personnelle. Depuis qu’illes ont compris ça, on peut discuter beaucoup plus facilement.

M : Très souvent et ce qui m'étonne toujours est se dire qu’avec tout le passé colonial et esclavagiste de la France en tant que métropole ayant eu des colonies avec des esclaves en grande majorité racisé·es, que l’on peut passer d'une société qui était ouvertement raciste et discriminante à ce que je dirais « la bonne France ». C'est-à-dire que tout ce passé est parti. On oublie qu'il y a des ramifications sur lesquelles la société actuelle est toujours construite. Ce racisme existe toujours. Les individus au sein de la République française sont éduqué·es au travers de cet œil raciste. L'éducation est inégalitaire, l'accès au travail est inégalitaire et discriminant. On est éduqué·e et on apprend le racisme au travers de ramifications toujours présentes. Je sais que c'est très difficile puisque parler de la blanchité est un sujet récent et adresser la norme qui voudrait être la blanchité est quelque chose de tellement incroyable d'un point de vue français.

Je me rends compte à quel point parler de la blanchité ou/et parler du racisme institutionnel qu'il y a en France est vraiment problématique pour les français·es. Je ne peux même pas imaginer, qu'est-ce que cela représente comme poids lorsqu'on est un·e enfant adopté·e, racisé·e et dans ton cas femme, encore une fois tu es l'intersection de plusieurs discriminations.  Tu es une femme d'origine haïtienne et noire ayant vécue avec des parents blanc·hes et appartenant à cette gauche bien-pensante, celle qui se dit ne pas être raciste et pour plusieurs autres raisons : ne sont pas de droites, ont adopté une enfant racisée. Je sais que l’on en avait parlé, on en avait même rigolé du côté « white savior » de tes parents. Ça doit être dur aussi pour toi d'interagir avec cette communauté blanche qui t'a fait croire que tu avais une appartenance absolue.

F : C'est vrai que ça a été un choc. J'étais beaucoup dans la colère l'année dernière lorsque j'en ai appris plus sur le racisme. Et pas simplement sur le racisme que tout le monde qualifie de mal. Qui dit, par exemple, que l’esclavage était la bonne époque à part les fachistes très motivé·es ?

Lorsque l’on analyse le racisme d'un point de vue politique et pas simplement d'un point de vue morale, on se rend compte que la violence est partout.

Je sais qu'il y a des livres que je n’ai pas réussi à finir. Me dire par exemple il y a 100 ans où était la place des femmes noires haïtiennes, c’est dur. Le rapport à son histoire et à son passé c'est compliqué lorsque l’on est afrodescendant·e mais alors lorsque l’on est adopté·e, on a la blessure de l’abandon qui se ravive encore plus. C’est vrai que j’étais beaucoup dans le déni, par exemple, que l’on appelle être dans le brouillard. C’est la phase où l’on se dit : « L’adoption ne me fait rien ! Non mais moi. Adopté·e ou pas la couleur de peau ça ne compte pas. ». On en sort de cette phase. Certain·es à des âges plus ou moins avancés en ayant un·e enfant elleux-mêmes et en se demandant : Qu’est-ce-que je vais lui léguer ?  Est-ce que je lui lègue que ma culture française ou est-ce que je devrais aussi peut-être lui apprendre la langue de mon pays d'origine, les coutumes de mon pays d'origine ? De là les questions se posent : Qui suis-je et pourquoi ? Et d'autres se rendent compte plus tôt. Il faudra alors gérer ça et garder une bonne santé mentale malgré tout.

Il faut continuer de vivre sa vie, faire ses études, réviser, avoir à des ami·es et cetera.

M : C’est toute la question de la communauté et de l'appartenance, ce qui me fait revenir finalement sur ta citation. C'est intéressant de savoir à quel point tu es dans ce questionnement sur la communauté. Est-ce que tu pourrais me dire pour toi, de ton point de vue, qu'est-ce que la communauté ? Qu'est-ce que pour toi est une communauté ?

F : Une communauté, pour moi, c'est un groupe d'individus qui ont des intérêts communs. En France on a beaucoup de débats sur le communautarisme. Pour moi celleux qui font par exemple de la salsa sont communautaires parce qu'illes ont intérêt commun qui est la Salsa. Illes aiment cette musique là mais ce n’est pas mal pour autant. Je pense que vu que je n’ai pas d'attache, on va dire familiale à la communauté noire, j’ai souvent ce sentiment de décalage. Il y a des blagues que je ne comprends pas, des sous-entendus que je ne comprends pas parce que je n’ai pas les mêmes références et les mêmes références culturelles. Par exemple c’est au travers du mouvement Nappy (retour aux cheveux naturels pour les femmes noires) qui m'a fait aussi questionner le terme de communauté. C’est par le soin de mes cheveux que j'ai appris à me redécouvrir et à me rendre compte que j'étais noire.

M : Ça me fait rire parce que c'est vrai que le parcours capillaire, le parcours identitaire capillaire est tellement complexe et te fait comprendre toute la toute la variété et la diversité de ton cheveu. Alors pour moi, ça n'existe pas un cheveu compliqué ou pas, il faut juste connaître son type de cheveu et savoir bien en prendre soin. C'est vrai que, par exemple, lorsque je pense à mon parcours capillaire, je me suis rendue compte à quel point tout ce qu'on m'avait proposé avant n'était pas du tout adapté et ne prenait pas en compte mon individualité, quelque part. Je comprends très bien lorsque tu dis que le mouvement Nappy t'a fait découvrir un autre pan de ta personne. Pour revenir à la question de la communauté, concilier France et Haïti est-ce que t'as pu créer un pont ou un passage de permettant justement de comprendre tes origines dans ton parcours de vie ?

F : Mon père après mon adoption a créé une association en Haïti et il y retourne tous les ans. Je suis retournée une fois avec lui. C'est à ce moment-là où tu vois que tout le monde autour de toi te ressemble et ça fait du bien de se sentir dans la norme. J’y suis juste allée une fois et je pense y retourner plus tard. J'ai créé aussi un lien avec Haïti parce que mon père y en allant tous les ans, revenait par exemple avec des huiles haïtiennes pour les soins des cheveux, de la peau et avec des gâteaux haïtiens. Ça m'a un peu créé un lien avec la culture. Puis c'est par l'art avec le compas que j’ai aussi un peu découvert le créole haïtien. Je voudrais aussi commencer à apprendre la langue parce que c'est important comme héritage. Je me suis aussi intéressée à Haïti par son histoire parce que dès que je disais à d'autres personnes noires que j'étais haïtienne, il y avait vite la phrase : « La première République noire du monde ! ». Ce fait-là crée une sorte de de fierté chez moi et je me suis renseignée là-dessus. Je pense que j'ai encore beaucoup de choses à creuser sur Haïti autant d'un point de vue culturel que sociologique qu'artistique et même religieux avec la question du vodou. Et j'aimerais aussi en savoir plus sur ça.

M : Et comment tu fais en France ? Est-ce que tu connais d'autres personnes haïtiennes vers qui te tourner ou des groupes à qui parler en général ? Ou c'est que des recherches sur internet ?

F : Au début, c'était que des recherches sur Internet. Puis par la suite avec le mouvement des personnes adopté·es qui par exemple organise des groupes politiques ou juste des groupes de parole, j'ai pu intégrer des groupes Instagram ou/et des groupes discord. On parlait de notre vie en tant qu'adopté·e mais aussi de notre rapport à Haïti. Par exemple, certain·es ont retrouvé leurs parents d'origines, d'autres ne veulent pas les retrouver ou en tout cas pas maintenant parce que c'est beaucoup de questions et beaucoup de bouleversements. Il y en a qui s'intéressent plus ou moins à la culture. Par exemple, j'ai pu échanger avec une femme d'origine haïtienne qui s'est beaucoup penchée sur Haïti. On peut faire des échanges sur ce qu'on sait, combien de fois elle est retournée en Haïti, c'est quoi la culture là-bas, comment on te perçoit là-bas en tant que diaspora et cetera. Je sais que je ressemble à une haïtienne, je suis née à Haïti mais ce sont les seuls points communs que j'ai avec les haïtien·nes qui vivent en Haïti. Je n’ai pas vécu leur réalité, tout simplement.

M : Je trouve ça beau le fait qu'il y ait des groupes qui vous permettent de discuter. Je vais revenir sur ce que tu disais vis-à-vis du mouvement des adopté·es, je ne connais pas du tout. Est-ce que tu pourrais expliquer de quoi il s’agit ?

F : Je ne sais pas si on peut définir ça comme un mouvement seul mais je sais que maintenant il y a une volonté et une prise de conscience de mettre des mots sur ce que l’on vit. Par exemple l'adoption transraciale [1] ou la blanchité honoraire. Comme on l’a dit tout l’heure être vu des fois comme blanc, se percevoir soi-même comme blanc·he mais se rende compte qu’on ne le sera pas. C'est aussi échanger sur le complexe de « white savior » que peuvent par exemple avoir les parents. C'est également déconstruire beaucoup de mythes sur l'adoption. Par exemple, il y a plus de familles qui veulent adopter que d'enfants adoptables.

En Europe par exemple dans les mouvements écologiques, on retrouve beaucoup la phrase de « pourquoi faire un enfant il y a en a tellement à adopter dans le monde ! », c’est faux. Il y a encore un rapport Nord/Sud qui est encore présent. Il y a en plus toutes les questions autour du trafic d'enfants. Les enfants qui sont mis à l'adoption ne sont pas forcément orphelin·es. C'est vrai que beaucoup ont encore des parents mais sont mis à l’adoption pour des raisons économiques par exemple. Dans ces mouvements des adopté·es, il y a autant d’adopté·es d'Haïti, d'Afrique et d'Asie. J'ai participé à des conversations sur zoom et sur discord avec des femmes asiatiques qui parlaient elles aussi de leur point de vue en tant qu'adopté·es asiatique. On a certes des similitudes et des différences mais ça fait tout de même du bien de se sentir comprise et de pas avoir à trop s'expliquer. En une phrase on se comprend : « Je vois ce que tu veux dire », « C’est drôle », « C’est un peu embêtant ». Je pense que pour moi, c'est aussi ça la communauté. C'est de ne pas avoir à trop se justifier et qu’il y ait une sorte de consensus commun sans que l’on se rende compte.

M : Je pense que c'est ça aussi la communauté. Si on essaye de se comprendre, on est capable de faire face aux mêmes difficultés, même si on sait très bien que les individus qui composent la communauté sont toustes différents·e les un·es des autres, on partage en effet ce sens commun, cette racine commune, quelque part qui fait qu'on arrive à se comprendre et à faire face aux difficultés. C'est intéressant parce que le point de cet épisode avec toi, c'est aussi de faire connaître le parcours de vie des adopté·es et non plus des adoptant·es puisqu'on on ne compte plus le nombre de films qu'il y a en France qui parle de la vie des adoptant·es et non pas des adopté·es. Ces films ne sont pas du tout neutres. Bien évidement ils mettent en avant le fait, qu'en effet, les adoptions transraciales sont compliquées mais ils mettent aussi en avant le fait que les parents veulent juste adopter « quelque chose ».

Je m’explique. Il y a un certain fétichisme de la part de l’adoptant·e envers l’enfant à adopter. Par exemple, je sais qu’il y a des parents qui ne veulent adopter que des enfants asiatiques venant de certains points de l'Asie ou qui ne veulent adopter que des enfants de l’Afrique ou de la Caraïbe. Il donc y a toute cette fétichisation et cette idéalisation de ce que serait d'avoir un·e enfant de cette région adopté·e. J'ai l'impression et tu me diras si c'est quelque part le sentiment que tu as pu avoir ou si tu as déjà pu en entendre parler, que l’enfant adopté·e n’est plus un enfant mais devient un objet de désir qui ajoute de la valeur sociale au statut de l’adoptant·e. Autrement dit j'ai l'impression que très souvent les adoptant·es ne voient en l'adopté·e, qu'une valeur ajoutée à leur vie et à leur statut social. Illes vont devenir de meilleur·es parents rien que par le fait qu’illes adoptent un·e enfant racisé·e venant de cette partie du monde. Illes ont fait une bonne action ce qui nous rappelle le complexe de White savior. Les films français qui ont pu sortir sur le sujet de l’adoption transraciale rendent visible les difficultés d’avoir un·e enfant adopté·e qui peut être encore plus difficile lié aux questions raciales, de genres. La fétichisation rend toute l'adoption vraiment difficile. D’ailleurs je crois que c'est même aux États-Unis où il y a la possibilité, si tu n'es pas satisfait·e avec l'enfant que tu adoptes, de le rendre.

F : Je pense que je peux vous rebondir sur beaucoup de notions par rapport à ta question et tes remarques.

En général dans l'adoption, beaucoup de parents adoptant·es veulent avoir des enfants jeunes de moins de deux ans parce que je pense qu'il y a un peu l'espoir que l'enfant sera une page blanche. Iel n’aura pas de mémoire de ce qui s'est passé·e avant et pourra être assimilé·e encore plus au pays d'adoption, au pays d’origine des parents adoptant·es.

Mes parents pensaient comme ça. Je pense que c'est un peu un mélange de naïveté et de bonne volonté en se disant un enfant de six ans ça va être difficile mais un enfant de deux ans, iel n’aura pas traumatisme et ne se rappellera de rien. Non, on reste traumatisé·e. Séparer un enfant de sa mère, c'est toujours un événement traumatique. Je pense que pour beaucoup, il y a l'association entre l'adoption et faire de la charité aux pays pauvres c’est-à-dire on t’a sauvé, soit reconnaissant. Ce rapport à la reconnaissance que l’on est censé avoir par rapport à nos parents ou/et à la France, c'est transposable pour beaucoup de communautés, par exemple d'enfants d'immigré·es. On te rappelle que l’on t’accepte et que l’on est bien gentil·le de le faire alors ne commence pas à te plaindre parce que dans ton pays t'aurais été pire.

Par exemple dans des discussions avec d'autres personnes adopté·es, leurs parents leur ont souvent dit que: « Là tu te plains de moi et de la France mais dans ton pays, tu aurais été pauvre, au chômage et tu aurais été un·e prostitué·e », là c’est les parents les plus violent·es. Je pense que les personnes qui ont vécu ça et qui en parle en groupe leur fait du bien. Dans l’adoption il y a beaucoup de tabous sur les adoptions qui se passent mal. Déjà la parentalité en soi véhicule l’idée qu’avoir un enfant c’est être sûr qu’un autre être humain va nous aimer inconditionnellement. C’est faux ! C’est pour se rassurer. Par exemple les adoptant·es si des personnes adoptées montrent un point de vue contraire au leur, en étant en colère ou triste, on met beaucoup en avant le fait qu'illes soient encore immatures.  La personne peut avoir 20 ans, 30 ans, on lui dira que la colère n’est pas une émotion légitime et qu’on lui a tout même offert la chance d'avoir un avenir. La question des classes entre aussi en jeu. Est-ce qu’avoir des moyens c'est être un bon parent ? Finalement adopter un·e enfant d’un pays pauvre vers un pays riche, même si iel subira du racisme, du rejet et de la discrimination ce sera toujours un bon calcul.  L’adoption pose d’autres questions comme la justice reproductive c’est-à-dire qui a le droit d'avoir des enfants et qui peut adopter les enfants des autres ? L'adoption met en lumière les dynamiques de pouvoir d’une classe sociale « supérieure » qui « récupère » un enfant et forcément va lui offrir un meilleur avenir que ce que son pays d’origine pouvait lui offrir. Alors même que le pays des adoptant·es fait en sorte que le pays d’origine des enfants adopté·es restent au plus bas. C’est tout un système.

M : C’est aliénant.

F : Et oui, il y a vraiment un tabou autour du trafic d'enfants dans l'adoption. Il y a eu, par exemple, le scandale de l'Arche de Zoé. C'était une association qui « aidaient » des parents français·es à adopter au Mali. On s’est rendu·e compte que sur les papiers des enfants, l’association aimait bien faire passer les enfants noir·es comme des enfants orphelin·es qui n'ont pas de famille et qu’illes n'auraient donc qu’à se raccrocher à leurs parents blanc·hes. Il y a deux types d'adoptions en France, l‘adoption simple ou l’adoption plénière. Dans le cas de l’adoption plénière, l’enfant adopté·e n’a plus du tout de lien avec sa famille d’origine. Dans certains pays, les familles qui signent pensent qu’elles pourront revoir ou avoir des nouvelles de l’enfant à l’adoption mais pas du tout.

M : Mon Dieu, c'est tragique. Je me demande si c’est ce qui s'est passé pour les enfants de la Creuse. Je ne connais pas vraiment les détails mais c’est à peu près le même contexte. Il y a eu un trafic d'enfants sous prétexte que la Réunion était beaucoup trop peuplée. Je passe le sujet des avortements non consentis par les patientes que les médecins pratiquaient et ce même sur des femmes qui pouvaient être enceintes de 7 mois. C’était un trafic intraterritorial. Je pense également aux nombreuses adoptions faites en Haïti pendant de nombreuses années. On se rend compte que le trafic dont tu parles, cette organisation de l'adoption est quelque chose qui s'est fait de façon très systématique dans la France et au sein des départements français d'outre-Mer. Ça s'est fait beaucoup à la réunion, énormément, plus qu'on ne saurait le dire puisque ça n’a pas été bien comptabilisé. Ça s'est fait beaucoup également en Haïti même si Haïti n’est pas un département d‘Outre-Mer, il n’empêche qu’il existe toujours ce lien historique et émotionnel avec la France et une facilité pour le gouvernement de français d'être en Haïti. C’est de ce point de vue-là que j’inclus Haïti étant donné que c'est une ancienne colonie esclavagiste française et que la France dispose de certaines accessibilités sur le territoire. Ce trafic a toujours été présent à l’intérieur de la France, au même de ses frontières, des enfants racisé·es vers les personnes blanches.

F : Oui et d’ailleurs lorsque des personnes adopté·es mettent en avant tous ces trafics d’enfants, il y a l'idée derrière que la fin justifie les moyens. Je pense que c’est une sorte de conte de fée qui voudrait que si l’histoire commence mal c’est-à-dire que l'adoption n’était pas très légale, tant que l'enfant se retrouve dans une famille de classe moyenne ou bourgeoise blanche française donc que ce n’est pas si grave. L’enfant accède à des privilèges, des privilèges de classe et qui annulerait tout le reste.

M : C’est très européanocentré. C’est de penser que parce qu’on amène l'enfant au « Nord » l’apport matériel, primera sur l’apport émotionnel et sentimental que l'enfant pouvait avoir avec ses racines. Encore une fois, on en vient toujours à cette naïveté de penser que l'enfant ne sera pas traumatisé·e quand même bien nous savons que les enfants sont une éponge qui absorbent toutes les émotions autour d’elleux. L’enfant adopté·e va voyager avec les traumas qui l'aura porté de ses parents de naissance et qu'iel portera avec lui dans son pays d'adoption avec sa famille d'adoption, sans comprendre d'où peuvent venir ces traumas. Toute cette dimension de la rupture familiale de naissance vient ajouter à l'inconfort à l'adopté·e. Je ne sais pas si ça fait sens. Je ne suis pas du tout une enfant adoptée donc c'est beaucoup de suppositions de part. J'ai cette impression que l'enfant adopté·e voyagera avec des traumas qui n'arrivera jamais ou presque à identifier. Iel n'a plus de lien avec les personnes qui l'ont transmis son trauma. Tu arrives et grandis dans un dans un pays complètement étranger quelque part. Tu y grandis, tu commences à faire de ce pays le tien mais j'ai l'impression qu'il y aura, il y a quelque chose que vous portez en vous comme un poids non identifié.

F : Je pense qu’il y a eu des soucis qui se rapproche ce que tu dis et qui peuvent être réglées par un·e psychologue, donc normaliser le fait d'aller en thérapie et en parler. Je pense que les adoptant·es doivent être courant que l'enfant en face d'eux n'a pas commencé son histoire avec elleux, qu'iel a une histoire passé et que ça va influencer comment iel va se comporter. Je pense aussi que le rapport à son pays d'origine peut être très biaisée si par exemple les parents ont une vision très négative du pays d'origine. Par exemple, Haïti est très vite relié à la pauvreté et à  la criminalité et à toutes ces notions un peu négative. Tu n’as pas envie de te voir là-dedans. Tu ne vois qu’un passé qui au travers du regard blanc, que tu intègres, ne peut être que funeste. Alors oui, on a envie de s'en détacher et de se rapprocher encore plus de la Francité on va dire. Pourtant cette intégration à la Francité ne sera jamais complète pour plusieurs raisons qui se tourne autour de la question d’où l’on vient réellement. Et par exemple, des adoptant·es ne donnent pas le pays d'origine. Ils·elles ont le dossier d’adoption avec les informations relatives à l’enfant et vont le jeter à la poubelle sous prétexte que ça va être un renouveau et que le passé n’est pas important. Il n’y a que le présent et l'avenir qui compte. Tant que l'enfant est heureux·heureuse et a une famille aimante tout ira bien. Il n’empêche qu’on leur pose la question au quotidien :  Tu viens d'où ? Les enfants ne savent pas. Je trouve que c'est une violence psychologique inouïe de faire ça.

M : La question d'où tu viens c’est poser une question très directe sur ton identité. Qui es-tu d’un point de vue identitaire ? On le dit, pour savoir qui tu es tu dois savoir d’où tu viens. Tu as eu la chance d'avoir des parents qui ne t'ont pas coupé de ta culture et de ton lien à Haïti notamment par les voyages de ton père entre Haïti et la France. Malgré le fait que tes parents ont réussi à voguer de façon maladroite pour reprendre la notion de la naïveté, illes l’ont fait à minima ou au mieux de ce qu’illes pensaient être bon pour toi. J’imagine tout de même que la question de l'identité est quelque chose de très dur, difficile à mettre en mots.

F : Je suis née en Haïti et dès, par exemple, que je remplis un papier administratif ou pour passer un partiel, je vais renoter le 30 avril à Haïti. Je ne peux pas oublier que je viens d'Haïti.  Pourtant, et c’est aussi l’un des moments où je me suis rendue compte que j’étais adoptée, par exemple, d’un point de vue médical lorsque les médecins te posent la question : Famille, antécédents familiaux, je réponds que je ne sais pas. Il y a beaucoup de cases que je ne sais pas, que je ne connais pas. On se dit qu’il y a un pan de sa vie que l’on ne retrouvera jamais. Je pense que pour beaucoup d'adopté·es, aller dans leur pays d'origine c'est refaire face à tous ces questionnements. Par exemple retrouver sa famille d’origine et réaliser qu’il y a eu des mensonges dans la famille, des secrets qui pèsent et des tabous. Pour certain·es ça se passe super bien et pour d’autres c’est la déception.  Le fantasme d'un parent idéal qui serait la mère biologique qui ne t’aurait jamais abandonné est très présente. Mais la réalité peut être différente. La mère biologique n’est pas une personne sympa, elle ne te veut pas du bien ou ne veut même pas te reparler.  Oui, il y a des mères biologiques qui acceptent de reparler à leur enfant et d'autres pour qui c'est encore trop dur, elles refusent. C’est un deuxième abandon.

C’est pour ça qu’interroger une personne adoptée sur sa famille d’origine c’est maladroit. C’est dur pour beaucoup d’entre nous. Par exemple, je sais qu’à l'âge que j'ai et dans la période de ma vie où je suis faire des recherches sur ma famille d'origine, ce serait trop. Ce serait trop pour moi. Je n’ai pas encore, je pense, la maturité de faire face peut-être à une deuxième déception. Ou qu’à l’inverse ça se passe bien mais que par la suite je m'inquiète pour eux ou que je ressens un certain devoir envers eux. Est-ce que je devrais les aider financièrement ou pas ? Est-ce que je devrais y retourner plus souvent ? L’adoption c'est un sujet qui peut vite être compliqué.  Les questions très intrusives, il faut éviter en général, à moins que la personne en parle d'elle-même.

M : Je pense que pour les adopté·es, on a très souvent laissé pour compte le fait qu'il y a tout ce flou identitaire que l'adopté·e essaye par ses propres moyen, la plupart du temps, de reconstruire. Je trouve ça super que l’on en discute. J'ai l'impression de ne pas avoir eu la possibilité d'entendre une opinion aussi franche d'une personne adoptée. Tu nous aides à comprendre et intégrer le discours des adopté·es au sein même des discours de race, d’ethnie, de classe et de genre puisque ce sont des personnes qui sont à l'intersection de discrimination et qu’on ne laisse pas parler. J’en viens ainsi à ma dernière question, puisque malheureusement on va bientôt se quitter, qui je pense va résumer tout cet épisode. Pourquoi est-ce important que nous entendions plus les histoires et les parcours de vie des enfants adopté·es racisé·es ? J'ai même envie de dire quelque part, vu que la conversation centrée sur ton cas donc tu peux parler de façon tout à fait personnelle. Pourquoi il était important de t'entendre toi Florie femme noire d'origine haïtienne ?

F : Déjà pour les personnes adoptées illes-mêmes, qu'illes sachent qu'illes ne sont pas seules et que leur ressenti est légitime. Illes ont le droit d'être tristes, d'être heureuses, d'avoir des regrets, d'avoir un rapport compliqué à leurs parents adoptant·es et d'avoir un rapport compliqué au pays dans lequel illes sont arrivées. C'est légitime. Il ne faut pas se sentir mal de se sentir mal. On nous répète régulièrement que l’on a de la chance que nos parents nous ont adopté et que ça signifie qu’illes voulaient vraiment un enfant. Beaucoup d’enfants adopté·es, en général, sont filles ou fils uniques. Illes sont gâté·es. On se sent mal de pas se sentir parfaitement heureux.

C’est bien utile de se poser des questions. Je pense que c'est vraiment bien que l’on puisse parler de nos expériences sans être silencé·e, sans être “gaslighter” [2] et que l’on puisse simplement échanger pour que les enfants adopté·es ne se sentent plus seule. Il ne faut pas nécessairement que ça se passe dans les larmes et le drame. On peut en rire. On peut rigoler. On peut faire des blagues et s’envoyer des mèmes sur la condition d'adoption de l'adopté·e. Enlever le tabou. Je trouve que c'est vraiment le principal.

Peut-être aussi questionner les communautés noires, antillaises et caraïbéennes. Par exemple, lorsque j'ai découvert les chaînes Youtube, Facebook qui parlait de ses communautés, les termes « bounty » [3] revenaient souvent. Je me suis dit en tant qu'adoptée, techniquement oui. Est-ce que c'est grave ? Est-ce que ça fait de moi une personne moins noire pour autant, moins légitime pour autant ? Il faut peut-être adresser ces questions-là c’est-à-dire lorsque l’on pense aux communautés noires, inclure également les personnes adopté·es qui ont été séparé·es de leur communauté très jeune et qui pour le coups n’ont même pas de lien d’attache. Les enfants d’immigré·es, par exemple, même en étant en France illes connaissent des cousin·es, des tantes ou encore de la famille dans leur pays d'origine ou du moins le pays d'origine de leurs parents. Donc oui, le discours de « retourner en Afrique pour construire », pour ça il faut déjà y avoir une attache là-bas.

M : Oui ce n’est pas évident.

F : Voilà, de repenser aussi ces questions-là du retour aux origines. Lorsque l’on retourne voir une tante, une mère, une grand-mère, je pense que ça peut être un peu plus simple. Et encore, il y a des fois des tabous dans les familles. Alors en plus, lorsque l’on te dit va vers tes origines, tu es complexée et que tu ne retournes, il n’y a personne. Il y a une vide, c’est blessant comme injonction.

M : Je te remercie vraiment Florie pour tout ce que tu viens de dire. C'est vrai que cet épisode a été très intéressant. J'aurais aimé en discutant encore plus. C'est la deuxième fois finalement que nous avons la chance d'en discuter. Je suis vraiment contente qu'on ait pu avoir cette conversation sur ta vie en tant que femme adoptée. Mais aussi de me permettre d'avoir la chance de faire entendre ton histoire. Et je suis vraiment heureuse de t'avoir eu avec moi pour discuter sur ce sujet très important et très dur aussi à écouter comme à en discuter. Je ne sais pas si voilà si t'as quelque chose à dire. Petit mot de fin avant que l'on se quitte.

F : Merci de m’avoir laissé participer. Les adopté·es, vraiment, vous êtes légitimes. 

[1] L’adoption transraciale se dit lorsque les adoptant·es sont d’une autre catégories raciales que les adopté·es. À l’inverse de l’adoption intraraciale.

[2] Gaslighting : Faire douter une personne de ses propres sentiments, expériences ou mots en lia manipulant. C’est un abus mental.

[3] Bounty : Terme péjoratif se dit d’une personne noir·e qui agirait ou penserait comme une personne blanc·he.

 

Ressources supplémentaires :

  • Amandine Gay : Une poupée de chocolat

  • Bell Hooks : Ne suis je pas une femme

  • Fania Noel : Afro communautaire 

  • Johanne Lemieux, Françoise Hallet : L'enfant adopté : comprendre la blessure primitive

  • Joohee Bourgain : L'adoption internationale

  • Julie Foulon  : Sara et Tsega

  • Sartre : La question juive

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