La langue créole c’est l’amour

 
Amour : 
  1. Mouvement de dévotion qui porte un être vers une divinité, vers une entité idéalisée ; adhésion à une idée, à un idéal.
  2. Intérêt, goût très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie de choses, pour telle source de plaisir ou de satisfaction.
  3. Affection ou tendresse entre les membres d'une famille. 
  4. Inclination d'une personne pour une autre, de caractère passionnel et/ou sexuel. 
  5. Liaison, aventure amoureuse, sentimentale, galante.
  6. Personne aimée (surtout dans des apostrophes).
  7. Représentation symbolique des désirs de l'amour par un très jeune enfant ou un petit cupidon.

©Larousse

 

Avant-propos : En compagnie d’Ambre Pyree, fondatrice de Laguadeloupeenne.blog, nous discutons de la langue créole, de son interdiction et de sa renaissance.

 

Mélissa : Je cite : « Le créole est passé d'une langue méprisée à une véritable langue dont les créolophones sont fiers·fières. Il fait partie intégrante de nos identités et de plus en plus de personnes se mettent à l'étudier et à l'inscrire dans notre quotidien afin qu'il perdure.”. Bonjour Ambre, comment vas-tu ?

Ambre : Bonjour aux lecteurs et lectrices de Fanm ka chayé kò c'est un plaisir d'être là avec toi pour cet interview.

M : Le plaisir est partagé, je suis vraiment très heureuse de t'avoir. Et justement, cette citation, elle est de toi Ambre, plus exactement de ton article « Le créole antillais : c'est quoi ? » disponible sur ton blog la guadeloupéenne.fr. [1]. J'ai lu ton article avec beaucoup d'attention et ce qui m'est restée est notamment ce que tu écris comme étant je cite : « Un long combat pour la renaissance du créole. ». Ça a beaucoup résonné en moi. J’ai cru lire mon père militant créolophone qui nous a inculqué, à mes frères et moi l'importance du créole et surtout l'importance du créole guadeloupéen et la nécessité que nous avions à le garder vivant. Et c'est également ta mission. Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, Ambre dis-moi, qui es-tu ?

A : J'ai 28 ans. J’administre un blog sur le créole guadeloupéen depuis un an. On a fêté l'anniversaire du blog au mois de mars. C'est un blog que j'ai démarré au départ par rapport à une formation que je voulais obtenir plus précisément une Licence de community manager et je me suis retrouvée avec une classe composée essentiellement de métropolitain·es. C'est vrai que j'avais envie de développer plusieurs projets puisque l'évaluation finale portait justement sur le blog qu'on allait produire et faire vivre. Et je me rappelle d'une conversation avec ma tutrice où elle me disait : « Comme tu es de la Guadeloupe, tu vas nous faire un blog sur le tourisme ? Le top 10 des plus belles plages ou prendre un petit punch ? ». Tu imagines le tableau. Ça a fait un tour dans mon cerveau. Je n'y avais pas pensé spontanément, je n'y aurais jamais pensé. J'avais plusieurs projets en tête un projet plus professionnel et aussi ce fameux blog créole qui me tournait dans la tête depuis un moment. J'ai profité de cette occasion, de cette formation pour pouvoir créer mon blog, l'administrer, le faire vivre. Et c'est comme ça que le blog la guadeloupéenne est né. Du côté personnel, je suis community manager. Je ne suis pas une professeure de créole comme on peut le croire. Je n’ai pas suivi des études, que nous avons enfin et qui sont disponibles pour nous, pour l’être. Par contre j'ai eu de très bon·nes professeur·es depuis le collège qui étaient habité·es par le créole. Je n’avais pas les cours de créoles mais mes professeur·es dispensaient de temps en temps des cours ou des moments du cours en créoles. Ça m'a toujours plu, j'ai toujours trouvé ça élégant, plus parlant et jusqu'à ce qu'au lycée, effectivement, j'ai pris des cours de créole avec un très bon professeur qui m'a encore plus encouragé dans cette voix.

M : Franchement, je n’arrive pas à croire que tu aies eu la chance d'avoir des cours dispensés en créole. Si je devais penser à ça, il n’y avait qu’un professeur de créole au lycée. Et la façon dont c’était publicité, j’avais l’impression que ce n’était que pour les campagnard·es. Aujourd'hui je regrette beaucoup de pas avoir pris de cours de créole. Non pas que je ne puisse pas le parler ou que je ne le comprenne pas, mais c'est vrai que j'ai toujours eu honte de parler créole tout simplement parce que je n’ai pas l'accent guadeloupéen typique. Ce qui fait que lorsque je parlais créole étant petite, les autres enfants se moquaient en me disant : « Gay blan-la tibwen ki ka éséyé palé kréyòl [2] ».

A : C'est souvent avec les abonné·es que j'ai ce genre de discussion. Des personnes qui ont honte ou qui sont gênées de parler créole guadeloupéen, martiniquais ou autre parce qu'ils n'ont pas l'accent. Je ne sais pas, je trouve que c'est se tromper de problème parce que le créole c'est une langue qui est élégante, qui est chargée d'images, qui est complexe. Donc dès que tu as l'esprit, que tu as la culture, tu peux parler le créole, exprimer ce que tu veux dire et la personne qui reçoit ta parole la reçoit normalement et clairement.

M : Qu'est-ce que j'aurais aimé avoir quelqu'un qui m'aurait dit ça lorsque j'étais petite. Tu as déjà pu répondre à ma première question, qui était : pourquoi et comment as-tu commencé ton blog. C'est vrai qu’à t'entendre, si je t'avais entendu lorsque j'étais petite, Je me sentirais beaucoup plus à l'aise de parler à l'heure actuelle créole guadeloupéen. On en discutera aussi plus tard du terme « créole guadeloupéen ». En tout cas, c’est vrai que lorsque je disais à mon père que j'avais peur ou que je n’osais pas, il avait toujours ce petit recul en me disant mais comment ? Comment tu peux avoir peur ou comment tu peux avoir honte de parler créole. Mon père est créolophone et a toujours dit qu’il ne parle français que pour deux occasions : parler aux dames et à l’administration française.  Autrement, il a toujours dit : « Lang an mwen sé kréyòl. An sé gwadloupéyen, an ka palé gwadloupéyen. Sé sa lang an mwen, an ké rété asi sa. [3] ». J’ai grandi avec mon père noire et créolophone et ma mère blanche et francophone. On a toujours vécu dans ce mix. Mais c'est vrai que si j'avais eu quelqu'un qui aurait su plutôt me rassurer en me disant que le fait de ne pas avoir d'accent n'est pas le problème, ce qui compte c'est de pouvoir parler la langue, je pense qu'à l'heure actuelle, je me sentirai beaucoup plus libre de pouvoir parler créole, même si je le fais plus pour une question de réappropriation identitaire. C'est vrai que je me dis qu’il y a un long combat derrière tout ça. Ce qui me fait rebondir justement sur ce que tu as dit concernant un long combat pour se réapproprier le créole, qu’est-ce que tu entends par là ?

A : Il y a vraiment beaucoup de problématiques autour du créole. Il y a déjà un combat qui est administratif puisque le créole a été banni de l'école longtemps et on peut même dire que ce n’est qu'il y a que quelques années que le créole a commencé à se faire une petite place timide à l'école. Ça a aussi été un problème administratif au niveau de l'État pour pouvoir reconnaître ce créole Mais l'aspect pour moi où le combat est le plus important, il est mental au niveau de l'image du créole. C’est un combat social. Parler le créole était socialement inférieur au fait de parler le Français. Il a été banni de l'administration, il a été banni de l'école donc l'image même du créole dans nos têtes a été modifié, dévalorisé, tout ce que tu veux. On a déjà en nous cette pensée-là. Enfin, les générations d'avant. Je pense que notre génération se réveille mais les générations d'avant ont vraiment un combat, une ambivalence sur le fait de parler créole.Je m'explique, je questionne des fois mes abonné·es sur leur relation en créole lorsqu’illes étaient plus jeunes par rapport à leurs parents. Certain·es me disent que pour leurs parents, ce n'était pas une interdiction. Illes n'étaient pas en train d'interdire aux enfants de parler créole mais illes préféraient, c'était une question de préférence pour leur bien, qu'illes parlent français pour qu'illes puissent atteindre un poste de fonctionnaire ou des choses comme ça. Il y a alors une ambivalence à la relation créole alors que pour d'autres c'est une langue de proximité. C'est une langue intime que l'on parle avec ses parents, entre ses frères et sœurs, avec ses ami·es. Il y a cette ambivalence avec le créole qui fait que c'est un long combat qui continue parce qu'à l'heure d'aujourd'hui où le créole a été trop introduit créole à l'école depuis une vingtaine d'année, il n'est toujours pas bien installé. Par exemple, on pourrait avoir des classes qui parlent les deux langues. J'oublie le terme précis de ce genre de classe, ce sont les classes bilingues. C’est justement en expérimentation à Morne-à-l'eau [4]. On pourrait cependant aller un peu plus loin dans la valorisation, la mise en avant du créole. C’est pour ça que je parle de longs combats parce que ça continue. On a l'impression que l’on a fait un de pas de géant il y a 20 ans pourtant ça continue bel et bien. 

M : Oui, tout à fait. Si on parle justement d'un point de vue administratif et d'éducatif c’est-à-dire tout ce qui structure notre société, mon père m'expliquait quelles étaient les stratégies à l'école pour faire en sorte que les enfants abandonne le créole, c'était vraiment violent. Il y avait du chantage, des coups de règles sur les doigts, et j’en passe. Puis le raccourci qui voudrait que parler le créole est la langue du sauvage. Même nous quelquefois et je ne sais pas si tu as déjà entendu ces propos, lorsque tu parles créoles une personne dira que tu parles de façon agressive. Outre le fait que le créole est vu comme étant inférieur au français, il y a également cette idée que le créole n’est qu’une émotion celle de l’agressivité.

A : Oui c’est pour ça que tout à l’heure je parlais de langue élégante et de la manière dont on reçoit la parole.

C'est un travail à faire sur soi parce que moi, quelqu'un·e qui me parle en créole, je comprends tout à fait ce qu'iel vit. Je reçois bien la parole, je ne me sens pas agressée. On peut expliquer simplement les choses en créole. Répéter quelque chose en créole permet de mieux comprendre. Par exemple, lorsque tes parents te donnent un ordre en français que tu ne comprends pas, illes te le répètent en créole, tu le comprends bien. Ce n’est pas par agressivité. C'est parce qu'illes se disent : iel n’a pas compris ? Je vais lui répéter en créole. Et ça va te parler. Ça va parler à ton cœur.

Malheureusement et effectivement le créole a une réputation de langue dure, de langue d'insultes pourtant c'est aussi une langue d'amour qui est une langue comme toutes les langues que l’on peut utiliser pour exprimer ses émotions, que ce soit positif ou négatif. L'idée du blog est de travailler autour de ça. C'est de travailler autour de ça, mettre en avant les personnes qui ont des initiatives dans ce sens. Par exemple les Makèt Kréyol qui rédigent des poèmes en créole. Ces poèmes sont tout simplement bouleversants tellement ils nous parlent au cœur et font battre nos cœurs avec la langue créole qui est décriée en tant que langue d'insulte ou autre. L'idée est vraiment de mettre en avant tous les trésors de notre langue puisque dans sa genèse même, c'est une langue qui a une histoire résiliente et qui est au carrefour de beaucoup d'autres langues. C'est vraiment notre façon de recevoir le créole qui doit changer ainsi que notre façon de l'utiliser. À ce niveau-là sur le blog j'ai plusieurs idées et plusieurs projets. Effectivement que je voudrais développer à travers notamment de challenges.

C’est un entretien que j'ai eu avec une présentatrice radio qui m'a donné cette idée où elle m'a dit qu’elle est née en France. Elle a vécu en France de parents antillais·es. En arrivant ici en Guadeloupe et qu'elle parlait créole, elle était un peu stigmatisée par rapport à son accent et cetera. Elle avait du mal. Et puis après au fur et à mesure elle s’est dit que non ce n’est pas possible, c'est ma langue. Je comprends, il n’y a pas de raison que quelqu'un·e m'empêche de m'exprimer en créole. C'est ma langue. Elle a persévéré encore et encore de sorte que même au niveau des administrations ou autres maintenant, elle parle principalement le créole. Puis français si vraiment la personne en face d'elle, ne comprend pas. Désormais, elle parle principalement le créole. C'est à ça que j'aimerais arriver moi aussi. M’exprimer directement en créole à une administration ou autre parce que je sais que la personne en face de moi parle le créole. Je ne suis pas en train de l'agresser. Je suis juste en train de vivre sur mon île, dans ma culture et que j'ai envie de m'exprimer de telle manière pour demander telle et telle chose sans avoir cette limite psychologique dans ma tête que c'est une langue d'insulte ou une langue de seconde zone. Pas du tout, c'est ma langue et je m'exprime avec.

M : Édouard Glissant avait vraiment des mots très touchants pour parler de tout ce concept de créolisation. Le terme de créolisation est un terme qu'il a développé au cours des précédentes années et qui était son cheval de bataille pour faire en sorte que le créole et que tout cette société créole soit mise en avant. Je vais essayer de retrouver ces termes exacts qui sont : « La Créolisation est un mélange inextricable de culture dont on ne peut prédire à l'avance les résultantes. ». Penser que la langue créole est une langue de sauvage, qui n'est pas élégante, qui, comme tu dis, est une langue totalement dépréciée que plus personne ne voulait la parler à un certain point, c'est aussi méconnaître et ignorer que l’on est dans une société tellement particulière, tellement spécifique. La langue créole est a été la langue de conversation qui a permis aux différents peuples et aux différentes personnes de pouvoir créer un lien beaucoup plus durable. Les personnes qui peuplent nos territoires viennent de partout et de lieux dont on ne saurait pas véritablement retrouver l’origine. Le créole a su souder ces personnes. Être capable de comprendre l’autre, c’est être capable de pouvoir l'entendre. On est alors capable d’avoir des conversations et de se regrouper au cours de ces conversations. La langue créole n'est certainement pas une langue sauvage et primitive, c’est une langue qui a réussi à souder des individus qui ont été acheminé·es en Guadeloupe pour des raisons désastreuses et tragiques. La langue créole a finalement réussi à faire en sorte que des individus qui ne se connaissaient pas et qui ne connaissaient pas l'histoire de l'un et de l'autre, se retrouvent autour d’une langue commune qu’illes pouvaient parler entre elleux. Et ça, c'est beau !

A : Très beau. J'en ai des frissons. C'est l'une des bases la plus la plus solide et la plus concrète de notre société. S'il n'y a pas de créole, il n'y a pas de chanson, il n’y a pas de ka, il n’y a pas de cuisine, il n’y a pas de morales populaire. La culture est à la base de notre société et de notre culture.

M : Ce qui est d’autant plus triste est que l’on entend depuis quelques années pas mal de revendications de personnes disant qu'il faudrait que nous arrêtions carrément de parler créole. Non pas en références avec les arguments que l’on pouvait entendre auparavant soit langue de primitive ou sauvage mais du fait qu’étant donné que le créole a été créée sur des ramifications esclavagistes et coloniales, il ne s'agit pas de notre véritable langue. C’est la sociologue Stéphanie Mulot qui disait qu'il y avait des mouvements de “décréolisation” [5]. Ça m'a vraiment interpellé parce que je me suis dit qu'est-ce que ça veut dire se “décréoliser” lorsqu’encore à l'heure actuelle on essaye de peaufiner et de comprendre notre identité créole. Je ne sais pas si tu as déjà entendu parler de ce mouvement de la décréolisation.

A : J’en ai vaguement entendu parler. C'est vrai que j'ai un certains nombres d’abonné·es qui m'envoient régulièrement des vidéos pour dire qu'il ne faudrait pas dire créole et que nous ne sommes pas des créoles, et cetera. Je ne me suis pas plongée suffisamment dans ces mouvements pour pouvoir donner un avis tranché dessus. Je ne saurais pas trop quoi dire dessus simplement que moi je suis très fière de parler cette langue, d'avoir cette culture Pour il y a une ambivalence, il y a certaines personnes qui recherchent leurs racines jusque sur les terres africaines et je ne trouve pas ça mal. Je ne juge pas ça.

Je vis cependant dans une réalité qui est que je suis née et que j'ai grandi en Guadeloupe. Certes, mon arrivée a été faite dans des conditions inhumaines, catastrophiques et cetera mais je prends le résultat de cette résilience.

C'est ça qui pour moi forme mon identité actuelle et j'en fais ce que j'en fais. Je peux aussi occulter toutes ces parties et aller chercher au plus loin de mes racines ou je peux voir ce que j'ai maintenant me l'approprier, me servir de ce que j'ai actuellement pour baser mon identité, la revendiquer à l'international. Et c'est plutôt cette option, ce parti que j'ai pris.

M : Je pense que tu as tout à fait raison. Je partage complètement ton avis. Je reconnais toute cette histoire. C'est d'ailleurs tout le travail qu'il y a derrière Fanm ka chayé kò mais aussi le travail de Fanm ka chayé kò est d'élever cette identité créole qui nous a trop longtemps été méconnue que ce soit par la France, que ce soit même par nos compatriotes. C’est revendiquer la créolité et le concept de créolisation qui est très cher à Édouard Glissant, Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau, qui ont porté toute cette idée, Si on en revient à la définition propre de créole qui est une personne blanche, de mémoire, née dans les colonies. Cette définition ne nous concernerait pas. Cependant entre ce moment et aujourd’hui,  énormément de temps ce sont écoulés. La mise en esclavage d’africain et d’africaines sur les terres de Guadeloupe, ont donné naissance à d’autres individus. Qui sont ces individus par la suite ? Malgré le fait que nous ayons fait perdurer nos racines, nos cultes ancestraux, comme tu l’as dit, il y a eu de la résilience. Plus les années passent, plus nous savons que nous ne reviendrons pas sur nos terres natales. Faisons alors de ces nouvelles terres notre nouveau chez nous. Avec cette résilience, et tu l'as si bien dit, portons la langue créole et portons en nous cette créolité. Personnellement, je suis plus que fière à chaque fois que je voyage, en tout cas pour le moment,  j'habite à Berlin, de dire je suis guadeloupéenne. Selon moi avec la guadeloupéanité vient la créolité.  Penser à la langue créole et je l'ai dit en introduction, c'est un amour pour moi difficile mais c'est aussi un amour immense comme tu l'as si bien dit toute notre culture y est basée : le ka, les danses, les rythmes, le parlé, le mal-parlé, le palabre et tous ces idiomes présents. Tout ça nous permet, lorsque nous quittons la terre et que nous rencontrons un autre guadeloupéen, de se comprendre. À partir de ce moment-là, on sait que l’on appartient à une même communauté.

A : C'est tout à fait ça. Je le prends vraiment comme une richesse. Lorsque tu as parlé de l'endroit où tu te trouves, et cetera, ça a fait écho en moi de par mes voyages que ce soit dans les Antilles, en Europe ou en Amérique. C'est vrai que j'ai ce petit diamant, cette petite perle en moi de parler créole. Je sais qu'autour de moi peut-être on ne comprend pas ce que je dis. Je peux apporter, faire un échange avec les personnes, c'est vraiment une... Comment dire ? Cela me rend singulière lorsque je suis à l'extérieur et j'aime ça. Pour moi, c’est l’essence de  ma guadeloupéanité comme tu l'as dit tout à l'heure. C'est vraiment une perle que j'ai. C'est vraiment mon petit bijou que j'ai et qu’à l'extérieur je peux faire rayonner. C'est comme ça que je le comprends.

M : Tu sais, j'aime tellement cet interview parce que je n’ai jamais déclaré tout ce que je ressentais pour finalement ma langue maternelle. Malgré toute la difficulté que j'ai eu et que j’ai à l'exprimer, je trouve ça tellement beau. Je n’ai pas l'impression que l’on entend tellement de choses positives sur le créole, comme on l’a dit. Puis ça me fait penser que le créole est une langue jeune. C'est une langue aussi qui est en devenir et a de l’avenir. Encore une fois, il y a beaucoup de débats sur le terme de créole. Mais il y a aussi un débat sur la détermination de chaque créole. Le créole est tellement vaste et large qu’il serait nécessaire de dire « créole guadeloupéen ». L’une des raisons pour lesquels j’apprécie ton espace instagram, c’est très interactif. Tu donnes beaucoup d’espace à tes internautes, à tes followers pour s'exprimer. Et si je me rappelle bien, tu avais partagé une publication sur la terminologie du créole et comment devrait-on appeler notre langue. Je ne sais pas si depuis tu as du nouveau ou de nouvelles réflexions à ce sujet ?

A : Non. j'ai posé la question effectivement à mes abonné·es et ça a été un débat de tout et de rien. Il y a des gens qui étaient énervé·es et disaient. Une personne m’a dit : « Mais c'est une blague ? Pourquoi est-ce que tu demandes est-ce qu'on devrait dire créole ou guadeloupéen ? La Guadeloupe n'est pas un pays, on ne pourrait pas dire guadeloupéen comme on dit français. ». La personne a rattaché le nom de la langue au nom du pays, entre guillemets, souverain. Pour elle, il était impensable que l’on dise qu'on parle le guadeloupéen. Je n’ai pas eu de personne favorable au guadeloupéen tout court il me semble de mémoire. Beaucoup étaient pour le fait de préciser créole guadeloupéen. Tout simplement parce qu'il y a une centaine de créoles qui existent et chacun ont leur individualité.  Le créole martiniquais n'est pas le même que celui guadeloupéen. Il y a beaucoup de similitudes mais il y a tout de même des distinctions entre les deux donc pour la plupart il fallait tout de même préciser créole guadeloupéen. À mon avis pour le moment, vu tous les combats et tout ce qu'il y a à mener, créole guadeloupéen me semble le terme le plus juste. Après, ça pourrait effectivement évoluer mais pour le moment, créole un guadeloupéen, je trouve que ça fait le job.

M : Et justement, en parlant d'évolution, il y a eu une proposition de loi qui a été adoptée sur la protection des langues régionales en France. J'ai essayé de savoir si les langues régionales dont on faisait mention dans cette loi s’adresse seulement aux langues régionales métropolitaines ou inclue aussi celles des régions dom-tom. Bizarrement je n’ai pas réussi véritablement à trouver réponse à ma question. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il n’y avait pas forcément nécessité à préciser quelles étaient les langues régionales ? Par défaut parler de langues régionales c’est parler de toutes les langues régionales. J’aurais aimé savoir. J'ai tellement peu confiance en le gouvernement pour vraiment inclure le créole guadeloupéen dans les écoles et au sein de l'administration que j'ai voulu être sûre.  En tout cas, avec cette loi le respect des langues régionales avance même si la Constitution dit que sur le territoire français, il n'y a qu'une langue unique et c'est la langue française. Aussi avec cette loi, j'ai l'impression que l’on efface des années de mépris sur toutes les langues régionales pour leur permettre enfin, comme tu l'as dit, de rayonner. Peut-être verra-t-on finalement le créole non plus seulement afficher sur les panneaux de signalisations à l’entrée de villes/communes. Est-ce que pour toi, tu vois les choses changer d’un point de vue politique à l’échelle français et/ou local ?

A : Alors je n'ai pas consulté ce projet de loi, je l'ai archivé pour le regarder bien au calme, mais je ne l'ai pas encore consulté. Au niveau politique, je n'ai pas d'exemples concrets d'évolution ici.  Je sais qu'il y a vraiment des initiatives personnelles dont je parlais tout à l'heure en introduction. Par exemple l'école primaire de Morne-à-l’eau qui valorise vraiment le travail autour du créole : Les chansons, les poèmes, le fait d'expliquer aussi les cours en créole. C'est quelque chose qui se met en place. Ce sont des initiatives individuelles qui se mettent en place. Il y a aussi l'école du Lamentin. Je pourrais te retrouver la source. L’école expérimente le fait d'enseigner aux écoles élémentaires en français et en créole. Il y a une ouverture qui se fait. Je ne dirais pas au niveau politique mais bien au niveau individuel. De la même manière que depuis la création de mon blog, je vois aussi émerger de plus en plus de comptes et de blogs sur le sujet de la langue créole, de ses origines, de sa construction.

Il y a un éveil qui est en train de se produire et qui est très beau. On doit les porter de la même manière que tous·toutes les écrivain·es, les professeur·es, les gens qui se forment au créole et leur donner des espaces d'expression et de formation pour les autres afin de transmettre tout ce savoir qu'on est en train d'acquérir, de formaliser tant au niveau de la graphie qu’au niveau de notre richesse linguistique c’est-à-dire vis-à-vis des proverbes, des idiomes et cetera. Il y a vraiment tout ce travail-là qui est en place de manière individuelle.

Je sais qu'il y a une association qui est en train de se monter et de monter qui s’appelle Atout pou Kréyol. L’association veut donner plus de visibilité à tous ces combats et à toutes ces initiatives locales. C'est ce que je pourrais citer mais vraiment au niveau politique, je crois que je reste sur ma faim.

M : Tu sais, j'ai envie de te dire si tu n’as rien entendu du côté politique, c'est qu’il n’y a rien. On est passé d’un éveil, d’un sursaut des individus pour justement protéger la langue créole. Je n’arrive pas très bien comprendre à quoi c’est dû. Peut-être au mouvement indépendantiste qu’il y a pu y avoir ? Ou/et au mouvement de décolonisation ? Ou bien c’est arrivé juste comme ça ? Je n’arrive pas à voir le moment où l’on est passé de l’interdiction de parler le créole dans la cour de récréation voire au sein de nos foyers à ce que l‘on le revendique comme étant leur langue maternelle avant tout.

A : Cet éveil dont on parle, c'est vraiment le carrefour entre à la fois les mouvements indépendantistes et les mouvements décoloniaux. Il y a 20 ans, on n'avait pas accès à autant d'informations. On était très dépendant·e, vraiment, des médias paternalistes coloniaux centrés autour des informations que l'État voulait bien nous donner.  On n’avait pas tout ce bagage sur lequel s'appuyer. On n'avait pas toute cette ouverture d'esprit que l'on a maintenant grâce à internet et grâce aux réseaux sociaux où la parole est libérée. On peut baser notre réflexion sur beaucoup plus que les choses que l’on nous donne qui ont été communément admises et qui sont transmises par l'État colonial, paternaliste et cetera. Cet accès d'information est déjà une première base de cet éveil. Il y a les mouvements indépendantistes qui aussi, à la fois, contribue à l'image de révolté·e du créole. Mais qui aussi ont apporté beaucoup d'arguments intellectuels et participent pour moi d'une certaine façon, parce que je suis assez friande tout de même des conférences, à notre éducation politique et à notre langue créole, puisque la langue créole est utilisée et beaucoup utilisée par les mouvements indépendantistes. Il y a donc cette partie là-aussi.  On a déjà ces deux pendants. Puis il y a une crise identitaire vraiment profonde entre, on va dire, 2005 et 2010 qui nous ont aussi poussés dans nos retranchements c’est-à-dire à se recentrer sur soi, à rechercher notre culture, ce qui est à nous, ce qui constitue notre être. La jonction des mouvements indépendantistes, des mouvements des coloniaux et cette recherche personnelle, cette crise identitaire que l'on a traversée qui est dédié aux crises sociales, on permis cet éveil et continue à nourrir cet éveil.

M : Pour rebondir sur ce que disais, on voit de plus en plus de projets aller dans ce sens. Une fois que je m’étais abonnée à ton compte instagram, j’ai eu plusieurs propositions pour d’autres pages instagram. Par exemple : Pawòl A Tififòl ou la box pour enfant Yékrik.

A : Oui tout à fait, la box Yékrik.

M : Il y a également le podcast de Ti Malo qui explique en courts épisodes des thèmes tout en parlant créole. Par exemple mon copain qui apprend le créole, quelques fois écoutait Ti Malo. Pour revenir à ce que tu disais précédemment, l’éveil se fait de façon individuelle et il suffit d’une addition de plusieurs personnes pour créer un collectif. Dans ce collectif, on commencera à se rassembler plusieurs individus, plusieurs groupes d'individus, puis c'est toute une communauté qui y adhéra. Pour ma dernière question, qui est peut-être une question vraiment très large et difficile à répondre puisqu’on en est encore au début de l'éveil de cette fierté de la langue guadeloupéenne... Alors je pense que si mon père m’entend dire que l’on est au début de l'éveil, il me dirait : « Pour qui je prends ! L'éveil guadeloupéen pour le créole était déjà là depuis des années avant que vous soyez né·e. ». En tout cas, je me comprends. J'espère que tu me comprends et que les personnes qui nous écouteront me comprendrons aussi. Quoi qu’il soit, ce que je voulais te demander est : Ou est-ce que tu vois le créole dans quelques années et où est-ce que tu vois le créole guadeloupéen dans quelques années ?

A : Alors je rejoins ton père, il ne faut pas dire et je ne veux pas dire que l'éveil datent des années 2000, loin de là. Il y a vraiment eu une époque dans les années 70 où la Guadeloupe était vraiment en feu, entre guillemets, sur toutes ces questions identitaires, culturelles, et cetera. C’est un regain, on va dire. Un regain dans les veines !

M : Oui, voilà, oui. Pardon papa ! C’est un regain, ce n’est pas un éveil excusé pardon !

A : Et surtout avec les nouvelles technologies ça va plus vite mais à la fois c’est plus éphémère. C'est là où il y a de l'ambiguïté justement autour de cet éveil sur la base des réseaux sociaux et d'internet, c'est que c'est un peu éphémère. Il faut pouvoir rester à jour. C'est tout mon dilemme vis-à-vis de mon blog dirons-nous. Alors pour répondre à ta question, comment je vois le créole dans quelques années ? Moi j'aimerais et c'est un travail que je fais avec ma nièce qui a 7 ans, que tous·toutes les enfants, toute la génération qui arrive là soit en capacité non seulement d'écrire le créole et également se sentent de le parler, de l'expliquer, de le mettre en avant. Moi, c'est mon rêve.  À l’école ou dans des situations autres que les situations de proximité que l’on connaît soit parents, amis et cetera que l’on puisse parler créole librement. Qu'il prenne sa place dans les administrations, ce n’est pas mon objectif premier. C’est quelque chose d'important mais ce n’est pas mon objectif premier. J'aimerais déjà que la génération qui arrive soit en capacité de bien connaitre sa langue et de bien l’écrire. Et puis elleux, illes vont continuer ce fameux combat.  Donc j'aimerais vraiment que le créole prenne sa place à l'école. C'est vraiment mon souhait. C'est vraiment ce dont je rêve en ce moment.

M : Oui, tu as tout à fait raison. Ça me fait rebondir sur l’un des problèmes et stéréotypes lié à la langue créole, c'est de dire qu’elle n'est qu’orale. On ne peut pas l'écrire. Ça démontre aussi toute la méconnaissance qu'on peut encore avoir sur notre propre langue. Je pense que, en effet, c'est un travail qui va prendre du temps.Pourtant ce travail porte déjà ses fruit. Il y avait quelque chose que je n’ai pas mentionné et que j’ai apprécié énormément, c’est que tu traduisais nos publications en créole guadeloupéen sur instagram avant la nouvelle saison du podcast. Je montrais à mon père le créole guadeloupéen écrit. Mine de rien, même s’il le parle, il ne l'a pas forcément écrit et ça démontre aussi à quel point, même pour les personnes qui sont créolophones, il y a encore à apprendre. On n’a pas encore vu tout ce que la langue était capable de nous donner.

A : Oui, on n’a pas encore la maitrise à l’écrit de la langue. Ça viendra.

M : Oui ça viendra. Par exemple ton blog est une initiative qui, pour moi, m'a fait énormément de bien. J'aime beaucoup participer à tes publications interactives qui très souvent sont écrites en créole. Je lis en créole et ça me fait du bien. Je n’ai pas une communauté créolophone à proximité donc ça me permet aussi de pouvoir continuer à parler et lire. Plus je le lis, plus mon imaginaire créole augmente puisqu'on on ne dira jamais assez que la langue créole est une langue d'image et de métaphore. C'est très difficile pour une langue d'être une langue de métaphore et je trouve que le créole y arrive bien. On joue de la langue pour en faire des jeux de mots et de perceptions. 

A : C’est ça.

M : On arrive malheureusement à la fin de cet interview. J'en ressors avec beaucoup de tranquillité. Je ne sais pas si c'est une émotion que je n’ai jamais eu au cours d’un interview. J’ai l'impression que j'ai une solution a porté de main. Je ne sais pas si c’est bizarre de te le dire comme ça, mais j'ai l'impression que ce combat, le combat que tu mènes sur la valorisation du créole n'est pas aussi inaccessible que ce que l’on pourrait penser de d'autres thématiques que j'ai pu avoir sur ce podcast.

A: Oui, je comprends tout à fait ce que tu veux dire. Effectivement, c'est ça.  Lorsque tu m'as proposé cette émission et que l’on a parlé de la préparation de cette émission, j'ai voulu le prendre sereinement et de manière accessible. C'est pourquoi j'ai pris aussi le parti de faire un blog et d'être plus présente sur les réseaux sociaux pour que ce soit accessible et ludique. C'est comme ça que j'ai eu envie de le faire. J’aurais pu prendre le parti, peut-être d'écrire un livre ou de faire des vidéos ou autre choix de supports qui ne soient pas forcément accessible. Donc ça me fait vraiment plaisir ce que tu dis et puis ça donne plus d'énergie pour pouvoir continuer.

 

[1] Le site n’est malheureusement plus accessible. 

[2] (Regarder la blanche qui essaye de parler créole)

[3] (Ma langue c’est le créole. Je suis guadeloupéen, je parle créole guadeloupéen. C’est sa ma langue et je ne changerais pas d’avis).

[4] Morne-à-l’eau est une commune de Guadeloupe.

[5] La décréolisation est un mouvement récent présent aux Antilles qui viseraient à s’éloigner de la culture créole et de ses apports pour se rapprocher d’une authenticité originelle africaine.

 

Ressources supplémentaires :

  • Baptiste Beck : La transmission des langues en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion

  • Christian Alin : Retour sur une langue dominée : la nouvelle reconnaissance du creole dans la formation des enseignants aux antilles françaises

  • Frédéric Anciaux : L’enfant, le creole et l’education physique et sportive aux antilles françaises : une approche pluridisciplinaire du bilinguisme dans les apprentissages moteurs

  • Jean-David Bellonie et Emmanuelle Guérin : Des formes ordinaires et la forme scolaire

  • Jean-Yves Mondon : Le créole et l'École

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